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Libération
Verdict

Procès d’Hunter Biden : le fils du président condamné pour détention illicite d’arme à feu

Jugé dans le Delaware pour l’acquisition et la possession illégale d’une arme à feu alors qu’il était consommateur de crack, Hunter Biden a été reconnu coupable des trois chefs d’accusation qui le visaient. Il encourt une peine de prison qui reste à fixer.
Hunter Biden, accompagné de sa femme, Melissa Cohen Biden, arrive au tribunal fédéral à l'annonce d'un verdict, mardi 11 juin 2024, à Wilmington. (Matt Rourke/AP)
par Julien Gester, correspondant à New York
publié le 11 juin 2024 à 17h37
(mis à jour le 11 juin 2024 à 22h13)

Au terme d’une semaine face à la cour fédérale de Wilmington (Delaware), bastion de son président de père, Hunter Biden a été reconnu coupable ce mardi dans le premier procès pénal d’un enfant de chef de l’Etat américain en exercice. Il aura suffi de trois heures de délibérations aux jurés pour s’accorder à l’unanimité sur sa culpabilité dans l’ensemble des trois chefs d’accusation, tous relatifs à l’acquisition et la détention illicite d’une arme à feu en 2018 alors qu’il était captif d’une intense consommation de drogues et d’alcool. Hunter Biden devrait faire appel à sa condamnation mais ne le pourra qu’une fois sa peine prononcée par le juge. Celle-ci pourrait s’élever au maximum à vingt-cinq ans d’incarcération, mais la jurisprudence suggère que la prison ferme est rarement retenue en pareil cas. Interrogé par la chaîne ABC News la semaine passée, Joe Biden avait affirmé qu’il respecterait la décision de la justice, quelle qu’elle soit, et écarté toute intention de recourir à son pouvoir présidentiel pour gracier son fils en cas de condamnation.

Presque aussitôt le verdict connu, il a réagi par un communiqué : «Comme je l’ai dit la semaine dernière, je suis le Président, mais je suis aussi un père. Jill et moi aimons notre fils et nous sommes très fiers de l’homme qu’il est aujourd’hui. De nombreuses familles dont l’un des membres s’est battu contre la dépendance aux drogues comprennent le sentiment de fierté de voir un être cher s’en sortir, être si fort et si résistant dans son rétablissement. Comme je l’ai aussi dit la semaine dernière, j’accepterai l’issue de cette affaire et je continuerai à respecter la procédure judiciaire lorsque Hunter envisagera de faire appel. Jill et moi serons toujours là pour Hunter et le reste de notre famille, avec notre amour et notre soutien. Rien ne changera jamais cela.» L’agenda officiel de la Maison Blanche a cependant été bouleversé dans la foulée, annonçant que Joe Biden se rendrait dans l’après-midi dans le Delaware, pour y retrouver son fils et son épouse Jill, avant de s’envoler mercredi pour le G7 en Italie.

Cette condamnation intervient dix jours à peine après celle de Donald Trump dans son procès pénal historique à New York. Pourtant d’ordinaire enclin à dénoncer la prétendue corruption d’une justice «instrumentalisée» à son encontre, le principal adversaire de Joe Biden dans la campagne présidentielle en cours s’est singulièrement gardé de tout commentaire pendant le procès. Mais il n’aura pas laissé passer la condamnation du fils de son rival sans livrer une réaction de pur opportunisme politicien, où il désigne Hunter Biden comme cette «affreuse personne qui a transféré à son père des millions de dollars provenant d’autres pays», en écho à des accusations jamais étayées de trafic d’influence et de corruption portées par les républicains contre le clan Biden depuis des années.

«Il est difficile de lui reprocher de vouloir une arme, qu’il a le droit de posséder en vertu du deuxième amendement [de la Constitution américaine, ndlr]. Il s’agit probablement de l’amendement le plus important de tous, si nous sommes totalement honnêtes, affirme aussi l’ex-chef de l’Etat. Son père, l’un de nos pires présidents, se préoccupe davantage de satisfaire les partisans du contrôle des armes à feu, de sorte qu’il n’aura pas le courage d’intervenir ici et d’aider Hunter. Ne t’inquiète pas Joe, je sauverai ton fils lorsque je serai élu – pour la troisième fois [une allusion au prétendu «vol» de sa victoire en 2020, jamais démontré lui non plus, malgré des dizaines de recours infructueux devant les tribunaux, ndlr].»

Intenses tourments

L’affaire Hunter Biden remonte au 12 octobre 2018. Ce jour-là, le fils de celui qui n’est pas encore président ni candidat pousse la porte d’une armurerie de Wilmington (Delaware). Comme l’exige la loi fédérale, il remplit un formulaire permettant d’établir s’il est en droit d’acquérir une arme à feu. A la question portant sur une éventuelle dépendance à des substances prohibées, il coche la case «non» – alors qu’il a été renvoyé quatre ans plus tôt de son poste dans la marine pour sa consommation de cocaïne, et que la mort de son frère aîné Beau, emporté par un cancer du cerveau en 2015, en entraînant le clan Biden dans des années d’intenses tourments, l’a précipité dans des abimes d’alcoolisme et de dépendance au crack. Ce mensonge l’autorise alors à devenir propriétaire d’un revolver Colt Cobra .38, d’un pistolet à air comprimé semi-automatique et de 25 munitions.

Onze jours plus tard, Hunter dort encore dans le lit de Hallie Biden – la veuve de son frère défunt, avec qui il entretient alors une relation cahoteuse et toxique – quand celle-ci déniche l’arme dans son pick up, ainsi que des résidus de drogue et des ustensiles destinés à sa consommation, comme elle le devinait avec crainte en entreprenant de fouiller le véhicule laissé déverrouillé et vitres baissées devant chez elle. Suivant une impulsion «paniquée» qui s’avèrera infiniment lourde de conséquences, elle empoche l’arme, conduit plusieurs kilomètres et la dépose dans une poubelle à l’arrière d’une supérette, enveloppée dans une pochette de cuir appartenant à Hunter, dont la future expertise révèlera qu’elle contenait des traces de cocaïne.

Lorsqu’elle y retournera quelques heures plus tard, après une orageuse dispute par SMS, le flingue a disparu. Il faudra donc alerter la police, ouvrir une enquête pour vol d’arme à feu (dont Hunter serait la victime et Hallie assume être la suspecte), qui n’aboutira que des jours plus tard, quand le Colt sera retrouvé en la possession d’un octogénaire, un vétéran de la marine clochardisé et habitué à faire les poubelles des alentours.

«Une odyssée carburant au crack»

Toutes poursuites seront alors abandonnées, sur l’insistance d’Hunter Biden, et l’histoire aurait pu s’en tenir là, pour ne demeurer qu’un épisodique soubresaut de cette histoire d’amour désespérée, édifiée sur le supplice du deuil et quelques autres vertiges. Mais il apparaîtra des années plus tard à la justice que le même Hunter Biden était à l’époque aux prises avec une multitude de dépendances illicites. De là ce procès six ans plus tard, où l’accusation s’est employée à démontrer que c’est bien en conscience qu’Hunter Biden dissimula son addiction lorsqu’il remplit le document légal chez l’armurier, et mentit donc à dessein.

Pour ce faire, les procureurs ont convoqué à la barre de nombreuses (ex) femmes de la vie de l’accusé, et largement puisé dans sa propre autobiographie, les Belles Choses (2021), dont plus d’une heure de morceaux choisis fut diffusée à la Cour en version audio comme autant de témoignages sordides et confondants. Depuis son siège d’accusé, le fils du président s’est ainsi entendu relater lui-même les affres de sa descente aux enfers au gré d’«une odyssée carburant au crack», scandée par autant de tentatives de désintoxication que de replongées à pic, jusqu’à la rémission durable qu’il dit avoir atteinte en 2019.

Quantité d’enregistrements vidéos et de photographies, prélevés par les enquêteurs sur son disque dur et son compte iCloud, ont également été projetés aux jurés, qui le montrent consommant du crack comme il le faisait, au plus profond de son addiction «du matin au soir», «à toute heure», jusqu’à «toutes les quinze minutes». Près de 151 000 dollars ont été retirés en liquide de ses comptes en banque au fil d’une période de trois mois, à l’automne 2018, au cours de laquelle il se porta acquéreur du fameux Colt – de l’argent prélevé parfois par ses soins, par une compagne du moment, ou même directement par des dealers à qui il avait laissé un accès à ses moyens de retrait.

Au gré de ce vaste déballage en images de ses années les plus enténébrées, souvent sous l’œil de la Première dame Jill Biden venue le soutenir, il est apparu nu, dans son bain, seul ou accompagné d’une petite amie avec qui il faisait la tournée de fastueuses chambres d’hôtel de New York à Los Angeles. A cette dernière, la camgirl Zoe Kestan, qui témoignera contre lui, Hunter Biden envoie un jour ce message : «Je peux être sobre, mais je serai toujours un toxico». Une formule sur laquelle ses avocats ont tenté d’édifier leur contre-récit suggérant que cet aveu constituait une étape dans un parcours de soin et de domestication de sa dépendance, plutôt qu’un aveu de culpabilité.

Plus vastement, ils auront cherché à démontrer que leur client se croyait sincèrement sobre à l’heure de l’achat de l’arme incriminée, pour s’être engagé peu avant dans un programme de désintoxication de six semaines en Californie, où sa fille Naomi, 30 ans aujourd’hui, témoignera lui avoir rendu visite : «Il ne m’avait jamais semblé aussi clair depuis la mort de mon oncle, il avait l’air vraiment bien», s’est-elle notamment souvenu – avant d’être confronté à des échanges de messages témoignant de combien elle était inquiète, les semaines suivantes, pour son père. Ainsi les efforts de la défense n’ont pas su faire douter les jurés, auxquels l’équipe du procureur David Weiss avait présenté des preuves suggérant des rencontres entre Hunter Biden et des dealers le surlendemain de ses emplettes à l’armurerie.

Un deuxième procès en vue

Ce procès n’aurait peut-être jamais eu lieu sans l’attention hystérisée portée à son accusé ces dernières années, du fait de son nom, et surtout des fantasmes que ses années noires nourrissent chez les adversaires politiques de son père. Selon nombre d’experts juridiques et commentateurs, y compris sur Fox News, de telles poursuites sont très rarement conduites jusqu’au tribunal par la justice fédérale américaine quand l’accusé ne présente pas d’antécédents judiciaires, ni n’a eu recours à l’arme concernée.

La teneur de sa condamnation ne devrait pas être connue avant l’automne, à quelques jours ou semaines à peine du scrutin présidentiel où Joe Biden est en campagne pour sa réélection – et où Hunter ne sera vraisemblablement pas autorisé par la loi du Delaware à voter, faute d’avoir encore purgé sa peine. D’ici là, un deuxième procès fédéral l’attend dès septembre, en Californie, pour fraude fiscale. Il lui sera reproché de s’être soustrait de 2016 à 2019, soit ces mêmes années baignée dans l’alcool et le crack, à 1,4 million de dollars (1,28 million d’euros) d’impôts.