Menu
Libération
Horreur

Quatre enfants tués par l’armée : l’Equateur exige la vérité

Noirs et âgés de 11 à 15 ans, ils jouaient au foot quand ils ont été emmenés par une patrouille à Guayaquil, la plus grande ville du pays. Leurs corps calcinés ont été identifiés vingt-trois jours plus tard. Une vidéo a permis d’incriminer les militaires.
Les parents et amis de deux des quatre mineurs disparus lors d'une opération militaire, alors qu'ils jouaient au football, portent l'un des cercueils lors de leur enterrement au cimetière Angel Maria Canals de Guayaquil, en Equateur, le 1er janvier 2025. (Marcos Pin/AFP)
publié le 2 janvier 2025 à 16h26

Steven avait 11 ans, Nehemías 15, les frères Josué et Ismaël, 14 et 15. Depuis le 8 décembre, on était sans nouvelles de ces quatre enfants noirs de Las Malvinas, un quartier déshérité proche du port de Guayaquil, la plus grande ville d’Equateur. Le 31 décembre, le parquet a annoncé que les corps calcinés retrouvés une semaine auparavant étaient bien ceux des disparus, provoquant une onde de choc dans le pays, qui a suivi l’affaire avec angoisse pendant trois semaines.

Après leur disparition, leurs parents se relayaient devant le palais de justice de Guayaquil pour obtenir des informations, aux cris de «Rendez-les vivants !» Sur un panneau, au-dessus de photos montrant les gamins en tenue de sport, ils avaient écrit : «Des footballeurs, pas des délinquants.» Un démenti à la thèse d’une arrestation après une tentative de vol, la première explication fournie par les autorités alors que les quatre restaient introuvables.

Cette accusation n’a jamais été étayée par le moindre élément factuel. En revanche, une vidéo de cinq minutes, captée par des caméras de surveillance et révélée le 24 décembre par des députés, dans le cadre d’une commission d’enquête, a montré le déroulement des faits. Le 8 décembre à 20h39, une patrouille militaire pourchasse une dizaine d’enfants dans la rue. Les hommes en tenue camouflage, casqués et armés, en attrapent trois qui sont jetés violemment sur la plateforme d’une camionnette. Un quatrième, le plus jeune, est capturé par un passant et remis aux soldats. Puis le véhicule s’éloigne.

Au téléphone : «Papa, viens, sauve-nous !»

Le soir même, vers 23 heures, un habitant de Tauro, à une cinquantaine de kilomètres du lieu de l’enlèvement, entend frapper à sa porte. Quand il ouvre, il a face à lui quatre enfants entièrement nus, des traces de violences sur le corps. Il leur fournit des sous-vêtements et prête son téléphone portable à l’aîné du groupe, Ismaël Arroyo, qui appelle son père : «Papa, viens, sauve-nous.» Et explique qu’avec ses compagnons il a été arrêté, frappé et dénudé par des soldats. Le bon Samaritain appelle la police mais celle-ci arrive trop tard : elle a été devancée par des hommes cagoulés qui ont emmené les quatre dans une voiture. On ne les reverra jamais vivants.

Les quatre corps brûlés sont retrouvés dans marécage proche de la base de l’armée de l’Air de Tauro, le 24 décembre. Les seize membres de la patrouille ont été inculpés de «disparition forcée», un crime passible de 26 ans de prison, et mis aux arrêts. Selon la version des militaires, la patrouille est passée par Las Malvinas après avoir escorté un camion de marchandises jusqu’à la zone douanière du port de Guayaquil. Constatant une tentative de vol contre une passante, ils ont emmené plusieurs des enfants avant de les libérer. Une action que leur autorise l’état d’urgence imposé par le président Daniel Noboa en janvier dernier : afin de lutter contre l’offensive des cartels de la drogue à Guayaquil, il a confié à l’armée les opérations de police.

Le 1er janvier, les participants à l’enterrement des victimes ont accusé les forces de l’ordre de racisme envers les afrodescendants. Bien que vivant dans un quartier pauvre, les quatre n’étaient pas des enfants des rues privés de foyer, ils avaient une famille, étaient scolarisés et engagés dans des associations sportives. Pour leurs proches, il ne fait pas de doute que la couleur de leur peau a fait d’eux des suspects, en l’absence de tout autre élément.

Avant la confirmation de la mort des enfants, la population et les ONG étaient déjà révoltés par la gestion de l’affaire. Le ministre de la Défense Gian Carlo Loffredo avait d’abord nié toute participation de l’armée, évoqué «des groupes de délinquants» puis dénoncé une tentative de faire croire «que les soldats sont des fous qui parcourent par groupes de seize les terrains de football afin d’enlever et de faire disparaître des mineurs».

A cinq semaines de la présidentielle

Le ministre a continué à défendre l’institution après la révélation des images : «Imaginons… Il n’y a pas eu de faits graves, ni mort, ni blessé, ni armes, pas de plainte déposée. Les soldats ont dû renoncer à livrer les enfants à la police et les ont relâchés.» Un récit hasardeux qui trahit son incapacité à obtenir des informations claires sur les faits. De son côté, le président conservateur, Daniel Noboa, s’est distingué avant l’identification des corps, avec une proposition déconcertante : proclamer les quatre enfants «héros nationaux».

La tragédie assombrit encore un climat politique tendu, à l’approche du premier tour de l’élection présidentielle du 9 février, où Noboa aspire à conserver son poste. Mais pour pouvoir faire campagne, il doit démissionner, la vice-présidente Verónica Abad assurant l’intérim. En très mauvais termes avec sa colistière, Noboa exclut ce scénario. Il l’a éloignée du pays en 2023 en la nommant ambassadrice en Israël, puis chargée d’affaires à Istanbul. Grâce à une décision de justice, la vice-présidente a pu rentrer en Equateur, bien décidée à jouer le rôle prévu par la Constitution.