Menu
Libération
Justice

Sandra Day O’Connor, première femme nommée à la Cour suprême américaine, est morte

Nommée par Ronald Reagan, la première femme à occuper les bancs de l’institution judiciaire avait défendu le droit à l’avortement, avant de porter les questions du cancer du sein et de la maladie d’Alzheimer.
Sandra Day O'Connor lors de sa nomination à la Cour suprême en 1981. (John Durica/AP)
publié le 1er décembre 2023 à 21h15

Beaucoup la considéraient comme «la femme la plus puissante d’Amérique». L’ex-juge américaine Sandra Day O’Connor, première femme juge nommée à la Cour suprême des Etats-Unis, est morte ce vendredi 1er décembre à l’âge de 93 ans à Phoenix, capitale de l’Etat de l’Arizona.

L’institution judiciaire, qui a annoncé sa disparition, a précisé qu’elle souffrait de «démence avancée, probablement d’Alzheimer, et d’une maladie respiratoire». Le président de la Cour suprême, John Roberts, a rappelé que Sandra Day O’Connor, qui avait pris sa retraite en 2006, avait «ouvert une voie historique en tant que première femme juge de notre pays». Et a été assise pendant vingt-cinq ans sur les bancs de la Cour.

Nommée en 1981 par le président républicain de l’époque, Ronald Reagan – aujourd’hui, elles sont 4 juges sur 9 –, cette femme énergique à l’abondante chevelure argentée a œuvré en faveur d’avancées progressives sur les questions d’avortement, de discrimination positive et d’éducation civique, entre autres dossiers. «Le pouvoir que j’exerce sur la Cour dépend du pouvoir de mes arguments, pas de mon genre», avait déclaré l’intéressée connue pour son franc-parler, en 1990.

La première femme à diriger un sénat d’Etat

Née le 26 mars 1930 à El Paso, au Texas, Sandra Day grandit en Arizona dans un ranch immense et isolé. Aînée d’une famille peu religieuse de trois enfants, la jeune fille apprend à conduire dès l’âge de 7 ans et à tirer au pistolet. Son diplôme de fin d’études secondaires en poche à l’âge de 16 ans, elle intègre la prestigieuse université de Stanford, en Californie. Lorsqu’elle commence ses études de droit à seulement 19 ans, elle est l’une des cinq femmes de sa promotion.

Diplômée en 1952, elle devient avocate, puis procureure-adjointe, puis juge élue à l’assemblée de l’Etat de l’Arizona. En 1973, elle est nommée cheffe de la majorité au Sénat de l’Arizona, devant la première femme à diriger un sénat d’Etat. Lorsque le président républicain Ronald Reagan, qui a promis pendant sa campagne de nommer une femme à la Cour suprême, pense à elle en 1981, Sandra O’Connor est presque inconnue hors des frontières de son Etat. Au terme d’une nomination historique par 99 voix contre 0, elle devient soudain la première femme juge de la Cour suprême, mettant un terme à cent quatre-vingt-onze ans d’exclusivité masculine. «Je pense que le fait important de ma nomination n’est pas que je vais juger des affaires en tant que femme, mais que je suis une femme qui va pouvoir juger des affaires», avait-elle déclaré au Ladies’Home Journal.

Certains, à droite, s’inquiètent alors de ses vues sur l’avortement. D’autres, à gauche, se préoccupent de ses positions sur les questions féministes. En un tour de bras, Sandra Day O’Connor s’impose par son indépendance et sa force de travail, fait taire les critiques et les sceptiques.

Défenseuse de Roe vs Wade

Conservatrice modérée, Sandra Day O’Connor s’illustre par son pragmatisme et son sens du consensus. Parmi les neuf juges, elle a souvent fourni la cinquième voix décisive pour des questions les plus controversées de son époque, votant selon les cas avec ses collègues conservateurs ou bien avec les progressistes.

En 1989, son influence en faveur du droit à l’avortement est particulièrement emblématique. Quatre juges sont alors prêts à remettre en cause l’arrêt Roe vs Wade de 1973, qui consacre l’avortement comme un droit constitutionnel. Alors qu’elle avait exprimé une certaine ambivalence à l’égard de Roe vs Wade, Sandra Day O’Connor refuse de les rejoindre. «Certains d’entre nous, en tant qu’individus, trouvent l’avortement offensant pour nos principes les plus fondamentaux ou leur moralité, mais cela ne peut pas contrôler la décision [de la Cour]», avait-elle écrit.

Ce n’est qu’en juin 2022, plus de trente après, que les opposants à l’IVG obtiendront un revirement historique par l’arrivée de magistrats conservateurs nommés par Donald Trump.

Elle a «construit un pont pour que tant d’autres femmes puissent la suivre»

En 1988, Sandra Day O’Connor est diagnostiquée d’un cancer du sein, auquel elle a survécu après une mastectomie. Mais la juge ne s’absente que deux semaines de la prestigieuse institution. Après son départ de la Cour en 2006, Sandra Day O’Connor sensibilise l’opinion publique au cancer du sein, mène des actions en faveur de l’éducation civique dans les lycées et collèges, attire l’attention sur l’importance de la recherche sur la maladie d’Alzheimer. Jusqu’à sa mort en 2009, elle prend soin de son mari, John O’Connor, qui en est atteint.

Avant de quitter la vie publique en 2018 pour combattre Alzheimer à son tour, c’est un président démocrate, Barack Obama, qui lui remet à la Maison Blanche la plus haute distinction civile américaine, la Médaille de la liberté : «Sandra Day O’Connor est comme le pèlerin dans un poème qu’elle cite parfois, celui qui a dégagé un nouveau chemin et construit un pont pour que tant d’autres femmes puissent la suivre.» Il saluait alors son ascension éclair dans un monde dominé par les hommes.