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Hors la loi

«Si cela fait de moi un «soutien du terrorisme», qu’il en soit ainsi» : la romancière Sally Rooney annonce vouloir reverser certains de ses droits d’auteur à Palestine Action

L’autrice irlandaise, célèbre pour son best-seller «Normal People», a annoncé qu’elle reverserait certains de ses droits dont ceux des adaptations télévisées de ses romans à l’organisation britannique interdite, classée terroriste au Royaume-Uni.
Sally Rooney, à Pasadena en Californie, le 17 janvier 2020. (Erik Voake/Getty Images for Hulu)
par Juliette Démas, correspondante à Londres et AFP
publié le 18 août 2025 à 15h09

Une autrice de best-sellers au secours de Gaza. L’Irlandaise Sally Rooney, célèbre pour son roman Normal People, s’engage auprès des Palestiniens. «J’ai l’intention d’utiliser ces revenus issus de mon travail, et ma notoriété de manière plus large, pour soutenir Palestine Action», a annoncé la romancière de 34 ans, connue pour son engagement en faveur des droits des Palestiniens, dans une tribune publiée ce week-end dans The Irish Times. Comme elle l’explique dans le journal, l’autrice irlandaise perçoit des royalties de la BBC, qui a coproduit et diffusé les adaptations télévisées de Normal People (2020), un succès planétaire, et de Conversations entre amis (2022).

Début juillet, le groupe Palestine Action a été interdit et ajouté à la liste des organisations classées terroristes au Royaume-Uni, après des actes de vandalisme perpétrés sur une base de l’armée de l’air. Depuis, plus de 700 personnes ont été arrêtées et une soixantaine vont être poursuivies pour avoir manifesté leur soutien en brandissant notamment des pancartes lors de rassemblements. Parmi eux : la poétesse primée Alice Oswald, et de nombreux seniors – selon la Metropolitan Police, la moitié des personnes arrêtées lors d’une manifestation organisée début août avaient plus de 60 ans.

«Dans ce contexte, je me sens obligée d’affirmer une nouvelle fois […] que je soutiens Palestine Action. Si cela fait de moi un «soutien du terrorisme» en vertu de la loi britannique, qu’il en soit ainsi», écrit Sally Rooney, qui réside dans l’Ouest de l’Irlande. «Je publierais volontiers cette tribune dans un journal britannique, mais cela serait maintenant illégal», ajoute la romancière, souvent qualifiée de «voix» de la génération des millenials, nés dans les années 1980-1990, et qui se définit comme marxiste. Auprès du quotidien britannique The Guardian, un expert juridique confirme que l’écrivaine pourrait bien être «arrêtée en vertu de la loi sur le terrorisme» et même poursuivie par la justice si elle exprime son opinion au sujet de ces financements de façon publique.

Des conséquences limitées

«Si Sally Rooney reste en Irlande, elle ne peut pas être poursuivie car elle est hors de la juridiction britannique. Cela ne changera que si elle met les pieds en Angleterre ou au Pays de Galles», tempère un juriste contacté par Libération, qui souhaite rester anonyme. «Le Royaume-Uni pourrait bien sûr demander son extradition, mais c’est très peu probable

La BBC pourrait-elle, de son côté, se retrouver dans l’embarras, si elle était amenée à financer un groupe classé comme terroriste ? «Techniquement, n’importe quel financement d’une organisation proscrite, quelle qu’elle soit, est illégal», reprend le juriste. Et ce, que ce financement soit direct ou passe par une autre personne.

«Par le passé, des individus ont été poursuivis et emprisonnés au Royaume-Uni pour avoir, par exemple, envoyé des fonds à des membres de leurs familles partis se battre en Syrie aux côtés de l’Etat Islamique. Mais le droit pénal britannique repose sur la poursuite d’individus, et la BBC est une corporation. Il n’existe qu’un nombre limité d’infractions engageant la responsabilité des personnes morales», poursuit le juriste. «La question qui se poserait alors, pour la BBC, serait : qui doit être poursuivi ? La personne qui envoie l’argent ? Celle qui en prend la décision ? Les deux ?»

De son côté, le radiodiffuseur britannique répond sobrement à Libé : «La BBC ne verse actuellement aucun paiement direct à Sally Rooney et elle n’est pas sous contrat avec nous. Les questions relatives aux organisations interdites relèvent des autorités compétentes».

Pas de traduction en hébreu de son troisième ouvrage

Sally Rooney, qui a vendu des millions de romans dans le monde, avait refusé en 2021 que son troisième ouvrage, «Où es-tu, monde admirable ?», soit traduit en hébreu par une maison d’édition israélienne qu’elle jugeait trop proche du pouvoir, suscitant de vives réactions au sein de la communauté juive.

Plusieurs organisations et ONG, dont les Nations unies, Greenpeace et Amnesty International, ont vivement condamné l’interdiction de Palestine Action, et averti que les arrestations de ses soutiens menaçaient la liberté d’expression. La fondatrice de l’organisation, qui vise à dénoncer «la complicité britannique» avec Israël en particulier sur les ventes d’armes, a déposé un recours en justice qui doit être examiné en novembre.

Mise à jour : ce mardi 19 août à 19 h 53, avec l’ajout des réactions d’un juriste et de la BBC auprès de Libération.