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Caillou

Silence, ennui, tentatives d’évasion… Un ancien détenu d’Alcatraz témoigne de son passage dans la célèbre prison américaine

Charlie Hopkins, 93 ans, se dit être le dernier ex-prisonnier encore vivant à avoir séjourné sur l’île au large de San Francisco. Il raconte à la BBC ses trois années d’enfermement dans le centre de détention fermé en 1963 et que Trump veut rouvrir.
Charlie Hopkins, ancien détenu d'Alcatraz désormais âgé de 93 ans, en Floride. (DR)
publié le 11 mai 2025 à 13h18

La BBC a retrouvé Charlie Hopkins en Floride. A 93 ans, l’homme affirme que les archives nationales de San Francisco l’ont informé qu’il était probablement le dernier ancien détenu d’Alcatraz encore en vie. Fermée depuis des décennies, cette prison qui compte parmi les plus célèbres des Etats-Unis pourrait rouvrir sur l’impulsion de Donald Trump, le président américain ayant déclaré le 4 mai qu’il souhaitait en refaire un centre de détention fédéral.

L’ex-prisonnier raconte que de ses trois années passées dans la prison, construite sur une île isolée dans la baie de San Francisco, il se souvient surtout du «silence de mort» qui y régnait. Envoyé à Alcatraz en 1955 après avoir eu maille à partir dans d’autres prisons, Charlie Hopkins devait y purger une peine de dix-sept ans pour kidnapping et vol. Auprès de la BBC, il raconte que lorsqu’il s’endormait le soir dans sa cellule, il entendait seulement le sifflement des bateaux au loin. «C’est un son solitaire. Cela vous rappelle Hank Williams chantant cette chanson Je suis si seul que je pourrais pleurer.»

Si la prison était propre, elle était surtout vide de toute distraction : à l’époque, il n’y avait pas de radio et peu de livres. «Il n’y avait rien à faire. Vous pouviez marcher de long en large dans votre cellule ou faire des pompes», se remémore Charlie Hopkins, qui occupait une partie de son temps à nettoyer les lieux, en balayant les sols et en les lustrant «jusqu’à ce qu’ils brillent».

Vol de lames de scies à métaux

A Alcatraz, Charlie Hopkins a eu des voisins tristement célèbres. En trente ans d’existence, l’établissement a hébergé de nombreux criminels violents tels Al Capone, le parrain du crime James «Whitey» Bulger, ou encore Robert Stroud, meurtrier connu sous le nom de «Birdman of Alcatraz». Ce dernier, ornithologue autodidacte, doit son surnom et sa postérité à un film du même nom qui le dépeignait comme éleveur d’oiseaux au sein même de l‘île-prison – un mythe, puisque si Robert Stroud a pu s’occuper d’oiseaux en détention, ce fut dans le centre pénitentiaire de Leavenworth mais jamais à Alcatraz.

Même dans cet établissement de haute sécurité, Charlie Hopkins a réussi à s’attirer des ennuis, finissant régulièrement dans le «bloc D», où les détenus étaient placés à l’isolement et ne sortaient que rarement de leur cellule. Son séjour le plus long au bloc D – six mois –, il le doit à d’autres prisonniers, dont le célèbre braqueur de banque Forrest Tucker connu pour ses multiples tentatives d’évasion plus ou moins réussies, qu’il a aidés à tenter de s’échapper. Hopkins a participé au vol de lames de scies à métaux dans l’atelier électrique de la prison destinées à couper les barreaux se trouvant dans la cuisine, au sous-sol. Mais le plan n’a pas fonctionné : les gardiens de prison ont découvert les lames dans les cellules d’autres détenus. «Quelques jours après les avoir enfermés, ils m’ont enfermé à mon tour», relate Charlie Hopkins.

Autre fait d’armes de Forrest Tucker : emmené à l’hôpital en 1956 pour une opération du rein, il s’est poignardé la cheville avec un crayon pour que les gardiens de prison lui enlèvent ses fers. Puis, alors qu’on l’emmenait passer une radiographie, il a maîtrisé les infirmiers et s’est enfui. Quelques heures plus tard, il a été capturé dans un champ de maïs, vêtu d’une blouse d’hôpital.

D’autres après lui ont également tenté de s’évader d’Alcatraz. Notamment Frank Morris et les frères Clarence et John Anglin, qui se sont enfuis en 1962 en plaçant des têtes de papier mâché dans leurs lits et en s’échappant par les conduits de ventilation. Ils n’ont jamais été retrouvés, mais le FBI a conclu qu’ils s’étaient noyés en voulant fuir l’île.

Au fil des ans et avec la multiplication des tentatives d’évasion, Charlie Hopkins a vu les conditions de détention évoluer. «Lorsque j’ai quitté l’île en 1958, les mesures de sécurité étaient si strictes que l’on ne pouvait pas respirer», témoigne-t-il auprès de la BBC. Au total, il y a eu 14 tentatives d’évasion impliquant 36 détenus, selon le Service des parcs nationaux qui s’occupe désormais de la gestion de l’île.

Proposition farfelue

C’est en 1963 qu’Alcatraz a fermé ses portes, le gouvernement estimant qu’il serait plus rentable de construire de nouvelles prisons que de la maintenir en activité, l’établissement étant trop isolé. Aujourd’hui, c’est un musée public visité par des millions de personnes chaque année, qui génère environ 60 millions de dollars (53 millions d’euros) de revenus par an.

L’Ile de 9 hectares située à 2 kilomètres au large de San Francisco et entourée d’eaux glaciales aux forts courants était à l’origine un fort de défense navale. La prison y a été reconstruite au début du XXe siècle pour devenir une prison militaire. Le ministère américain de la Justice l’a reprise dans les années 30, la transformant en prison fédérale pour lutter contre le crime organisé, galopant à l’époque.

Après plus d’un siècle d’exposition aux éléments, l’endroit est devenu pratiquement inhabitable. Le bâtiment est décrépit, la peinture écaillée, les tuyaux rouillés et les toilettes sont en ruine dans chaque cellule exiguë, souligne la BBC.

Pas de quoi arrêter Donald Trump. Non seulement le milliardaire républicain rouvrir l’île-prison, mais il compte aussi l’agrandir. Le but, y placer les «délinquants les plus impitoyables et les plus violents» du pays. Alcatraz «représente quelque chose de très fort, de très puissant», la loi et l’ordre, a martelé le président américain. Une proposition farfelue – de plus – selon les experts et les historiens car sa réparation et sa remise à niveau coûteraient des milliards de dollars, relève le média britannique.

Un avis partagé par Charlie Hopkins, pourtant fervent défenseur de Donald Trump. «Il ne veut pas vraiment ouvrir cet endroit», estime-t-il, ajoutant que le président américain essaie de «faire comprendre au public» qu’il faut punir les criminels et les clandestins. Après plusieurs décennies de réflexion sur ses crimes et sa vie à Alcatraz, le nonagénaire a fini par écrire ses mémoires. «Je peux voir maintenant, avec le recul, que j’avais des problèmes», livre-t-il à la BBC.

Charlie Hopkins a quitté Alcatraz en 1963. Il est retourné dans son Etat d’origine, la Floride, où il a aujourd’hui une fille et un petit-fils.