«Se acabó el parole» : le «parole» est terminé, soupirent des dizaines de milliers d’immigrés hispanophones installés aux Etats-Unis. Ce terme (prononcé «parolé» en espagnol), qui désigne une libération conditionnelle dans le droit américain, est aussi le nom du programme de protection humanitaire lancé par Joe Biden en janvier 2023, et qui a permis à 532 000 Cubains, Haïtiens, Nicaraguayens et Vénézuéliens d’obtenir un permis de résidence provisoire de deux ans maximum (renouvelable sous conditions), et une autorisation de travail. CHNV, le nom souvent donné au dispositif, est l’acronyme des quatre pays.
Vendredi 21 mars, l’administration Trump y a mis fin. Et ses bénéficiaires sont sommés de quitter le pays dans un délai d’un mois, qui court à partir de ce mardi, jour de publication de l’ordonnance au journal officiel. Ceux qui ne le feront pas deviendront, le 25 avril, des clandestins, à moins d’avoir obtenu d’ici là un autre statut d’immigration leur permettant de rester, a indiqué vendredi 21 mars le Département de la sécurité intérieure, qui justifie : «La liberté conditionnelle est par nature temporaire, et la liberté conditionnelle seule ne constitue pas une base sous-jacente pour obtenir un statut d’immigration, ni ne constitue une admission aux Etats-Unis.»
Un faible nombre de demandes d’asile
La décision révolte les défenseurs des droits humains, notamment parce que les migrants concernés ne pourront pas aller au bout de leurs deux ans de résidence initialement accordés. Ce délai devait notamment leur permettre de présenter des dossiers de régularisation, mais d’après Nicolette Glazer, une avocate californienne citée par l’AFP, seules 75 000 demandes d’asile permanent ont été déposées. Dans le climat actuel, combien seront accordées ? C’est donc la quasi-totalité des protégés du «parole» qui vont devoir quitter les Etats-Unis.
L’initiative de la précédente administration permettait d’accueillir un maximum de 30 000 migrants par mois, en raison de la situation à Cuba, au Nicaragua et au Venezuela, trois régimes socialistes autoritaires, et d’Haïti, un Etat failli livré aux gangs criminels. Les demandeurs devaient présenter un garant financier, souvent un membre de leur famille résident légal aux Etats-Unis, être en mesure de payer leur billet d’avion, et accepter une visite médicale et une enquête sur d’éventuels antécédents pénaux. Les Haïtiens ont fourni, de loin, le contingent le plus important : 211 000, suivis par les Vénézuéliens (117 000), les Cubains (110 000) et les Nicaraguayens (93 000).
Joe Biden avait à l’époque présenté son plan comme une méthode «sûre et humaine» pour alléger la pression à la frontière entre les Etats-Unis et le Mexique. C’était aussi une façon de faire le tri avec les Centraméricains du Guatemala, du Honduras et du Salvador, qui fuient des conditions de vie misérables, mais aussi des persécutions en tant que femmes, membres des communautés autochtones ou des minorités LGBTI. Cette discrimination de fait avait été reprochée au président démocrate.
Le plan CHNV n’est pas le seul dispositif d’aide aux réfugiés que Donald Trump a démantelé. En février a été annoncé le non-renouvellement du Statut de protection temporaire (TPS), qui empêche le rapatriement des migrants dans des pays où leur sécurité ne serait pas assurée, pour raisons politiques, sociales ou environnementales. 250 000 Vénézuéliens perdront ce bénéfice le 2 avril, et plus de 500 000 Haïtiens début août.
400 arrestations de migrants par jour
Ces mesures sont une partie de l’arsenal anti-immigrés promis à ses électeurs par Donald Trump. Les rafles dans la rue en sont une autre. Selon Trac (Transactional Records Access Clearinghouse), un organisme indépendant de collecte de données, la police des douanes et de l’immigration (ICE) détenait au 9 mars plus de 46 000 personnes expulsables, dont 50 % n’ont ni casier judiciaire ni poursuites en cours. Pour les autres, leurs antécédents sont en majorité des infractions routières. D’après la même source, le rythme actuel d’arrestations de migrants par l’ICE est de 400 par jour.
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Le dispositif de protection humanitaire temporaire n’a pas été inventé par Joe Biden. En 1956, il avait permis d’accueillir 30 000 Hongrois, exilés après l’entrée des chars soviétiques à Budapest. Au fil des années, des dizaines de milliers de Cubains, puis de Vietnamiens et de Cambodgiens ont pu en profiter, à mesure que leurs pays passaient sous contrôle communiste.
Le retour massif de populations dans des pays à l’économie délabrée tels que Cuba ou Haïti est quasiment impossible. Le choix pour les victimes est donc de rester en devenant clandestin, ou de trouver un nouveau pays d’accueil. Cette situation est dénoncée par Sheila Cherfilus-McCormick, représentante de la Floride au Congrès de Washington. Son Etat est celui qui accueille le plus de bénéficiaires du parole. Dans un communiqué publié samedi 22 mars, la première et seule congressiste d’origine haïtienne affirme : «La brutale expulsion d’un demi-million de personnes est inhumaine, irrationnelle et aura un impact irréparable sur […] l’économie.» Elle ajoute que les «personnes [visées] travaillent légalement et paient des impôts […] et apportent leur force de travail dans les aéroports, les hôpitaux, les petits commerces et les écoles».
D’autres défenseurs des migrants soulignent que le message envoyé par le Président est désastreux : il dissuade les futurs candidats à l’immigration de recourir à des formules légales, puisque celles-ci n’offrent pas plus de protection que les entrées clandestines.