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Libération
Amérique latine

Un féminicide dans une école de police scandalise l’Equateur

Une avocate de 34 ans était introuvable depuis sa visite dans l’académie où son mari était formateur. Onze jours après, son corps a été retrouvé à proximité. L’époux et suspect numéro 1 est en fuite.
Lors de la manifestation devant le commandement général de la police afin de demander justice pour María Belén Bernal, à Quito en Équateur, mercredi. (Dolores Ochoa/AP)
publié le 22 septembre 2022 à 16h35

Le 11 septembre au petit matin, María Belén Bernal, une avocate de 34 ans, est entrée dans l’Ecole supérieure de police pour y retrouver son mari, lieutenant instructeur dans cette institution de formation des officiers, située dans la périphérie nord de Quito. Personne ne l’a vue en sortir. Sa famille ayant signalé sa disparition, une forte mobilisation s’est déclenchée pour retrouver la jeune femme. Mercredi, après onze jours de recherches, le corps de María Belén a été retrouvé dans une zone boisée, à quelques kilomètres de l’école. Le lieutenant Germán Cáceres, mari et principal suspect, est en fuite depuis le début de l’affaire. Le gouvernement offre une récompense de 20 000 dollars pour sa capture.

«Profonde douleur et indignation»

En annonçant la macabre découverte mercredi, le ministre de l’Intérieur, Patricio Carrillo, a estimé que la police «a fait son travail et a trouvé María Belén Bernal». «Je regrette profondément sa mort, qui ne restera pas impunie», a-t-il ajouté. Sur Twitter, le président Guillermo Lasso, actuellement aux Etats-Unis, a exprimé sa «profonde douleur et indignation». Il a en outre exprimé sa «solidarité» avec la mère de la victime et le fils du couple, âgé de 13 ans.

Mercredi, des rassemblements ont eu lieu devant des bâtiments publics pour exiger la vérité. Des pancartes proclamant «Etat féminicide» ont été brandies. Aux cris de «Assassins, assassins» lancés aux policiers chargés d’encadrer la foule, se sont ajoutés des appels à la démission du ministre de l’Intérieur. Ces manifestations ont repris ce jeudi matin.

La disparition puis le meurtre de María Belén ont occupé ces derniers jours une large place dans la presse et les journaux télévisés. Selon les premières constatations, l’état de décomposition du corps indique une mort proche du jour de la disparition. Dans l’attente des résultats de l’autopsie, de nombreuses questions se posent, notamment sur les complicités dont a pu bénéficier l’assassin présumé pour faire sortir le corps de l’école, puis l’enterrer. L’établissement, qui forme aussi des policières, a suspendu toutes ses activités et son directeur a été démis de ses fonctions.

206 féminicides en 2022

L’Equateur, où le féminicide est passible d’une peine pouvant aller jusqu’à vingt-six ans de prison, connaît des taux élevés de violences sexistes. La Fondation Aldea a dénombré, entre le début de l’année et le 3 septembre, 206 morts violentes de femmes «en raison de leur genre», dont six femmes trans. Dans 53 % des cas, l’auteur présumé avait «un lien sentimental» avec la victime.

L’affaire écorne encore un peu plus le crédit des forces de l’ordre dans le pays, qui connaît une explosion de la violence urbaine. Les pouvoirs publics et la police sont accusés d’inaction et d’impuissance devant ce fléau. Voisin des deux plus grands producteurs mondiaux de cocaïne, la Colombie et le Pérou, l’Equateur a longtemps été épargné par le narcotrafic, avant de devenir il y a quelques années un centre d’expédition majeur de drogues vers l’Europe et les Etats-Unis. Les cartels mexicains ont trouvé en Equateur une économie dollarisée où ils peuvent facilement blanchir leurs revenus, et des autorités peu préparées à faire face au crime organisé.

Selon le dernier rapport annuel de l’Office des Nations unies contre les drogues et le crime (ONUDC), l’Equateur, qui compte 18 millions d’habitants, a été en 2020 le troisième pays pour les saisies de cocaïne, après la Colombie et les Etats-Unis, soit 6,5 % des 1 424 tonnes saisies dans le monde. Et le taux d’homicide dans le pays est passé de six à quatorze pour 100 000 habitants entre 2018 et aujourd’hui, selon les statistiques du ministère de l’Intérieur. Les affrontements entre gangs se sont aussi étendus aux prisons et ils ont fait plus de 350 morts parmi les détenus depuis février 2021.