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Libération
Les e-Woke

Une vidéo de recrutement postée par la CIA agace des figures de l’extrême droite américaine

Dans une vidéo de promotion des carrières au sein de l’agence de renseignement américaine, une femme qui se décrit comme «millennial cisgenre» et «intersectionnelle» fait réagir des figures de l’extrême droite.
Photo d'illustration. (Jim Watson/AFP)
publié le 5 mai 2021 à 19h11

La CIA est-elle trop «woke» ? Elle l’est évidemment pour plusieurs figures de l’extrême droite américaine qui s’est étranglée en visionnant une vidéo postée sur le compte Twitter de l’agence de renseignement. Jusqu’à ces derniers jours, ce court clip promotionnel des carrières au sein de l’institution, publié sur YouTube le 25 mars, n’avait pourtant pas ému les réseaux sociaux. Mais un extrait de quarante-deux secondes posté le 28 avril sur Twitter et Instagram a provoqué la colère de plusieurs réacs américains.

Dans cette fameuse vidéo avec montage au ralenti et musique émouvante, on voit une femme traverser d’un pas déterminé les couloirs du siège de la CIA, installé à Langley en Virginie, et son hall estampillé du sceau de l’agence. Une voix-off raconte à la première personne qu’elle a 36 ans et est fille d’immigrés hispaniques. Et comment elle a intégré puis monté les échelons au sein de l’institution. Elle s’affirme «millennial cisgenre» et «intersectionnelle». «Mais ma vie ne se résume pas à cocher des cases. […]. Je ne suis pas entrée en douce à la CIA, […] j’y ai gagné ma place et j’ai gravi les échelons, affirme fièrement l’Américaine. J’ai souffert du syndrome de l’imposteur. Mais à 36 ans, je refuse de laisser des idées patriarcales erronées me dicter ce qu’une femme peut ou doit être.»

Communication léchée

Voilà de quoi hérisser le poil de John Nolte, qui contribue au site d’extrême droite Breitbart News, porte-voix de la ligne Trump, qui a jugé la vidéo trop «woke», terme issu de l’argot afro-américain et désignant une prise de conscience des inégalités liées aux oppressions qui touchent les minorités. La vidéo prouve que la CIA «cherche activement à embaucher les personnes les plus impudiques, narcissiques et les plus grotesquement autocentrées : les millennials woke», écrit-il dans un éditorial fielleux. Donald Trump Jr., fils de l’ex-président américain, s’est pour sa part manifesté via Twitter : «La Chine et la Russie rient aux éclats en voyant la CIA se mettre au woke.» «La wokitude est le genre d’opération psychologique tordue qu’une agence de renseignement inventerait pour détruire un pays de l’intérieur», a-t-il ajouté dans un post qui a provoqué bien plus de réactions que la publication initiale, six jours plus tôt.

A la CIA, le recrutement, l’un des rares sujets que l’agence de renseignement accepte d’aborder publiquement, est l’objet d’une communication léchée. Un nouveau site web lancé en février est destiné à faciliter les procédures de recrutement : «Quand ils visitent le site, les candidats doivent se sentir représentés.» La campagne «Humans of CIA» («les gens de la CIA»), dont fait partie la vidéo, vient compléter la promotion des carrières professionnelles au sein de l’agence. Une publicité diffusée en juin sur les plateformes de streaming prônait déjà l’ouverture. Il s’agissait d’un véritable plaidoyer pour que les employés de l’agence soient à l’image de la diversité de la population américaine.

Nécessaire diversité

L’agence «tire sa force de la diversité», explique dans un tweet posté lundi Larry Pfeiffer, ancien haut responsable de l’agence : «Cette vidéo de recrutement de la CIA reçoit de nombreuses critiques. Si vous ne l’aimez pas, vous n’êtes probablement pas la personne que l’annonce vise à recruter.» Mais si la volonté d’insuffler plus de mixité est érigée au rang de priorité pour la CIA, cela n’a pas toujours été le cas. Ce n’est qu’en mars 2013 que John Brennan, directeur de la CIA durant le mandat de Barack Obama, se saisit de la question de la diversité et des droits des employés. Jusqu’en 1995, les personnes gays et transgenres craignaient de voir leur carrière au sein des renseignements américains s’arrêter net s’ils révélaient leur identité sexuelle ou de genre, détaille un article de Foreign Policy. «Je ne vois pas quelle autre organisation peut faire de la diversité et de l’inclusion un meilleur dossier que la CIA. Nous avons la responsabilité […] de comprendre toutes les sociétés, les cultures», explique John Brennan au magazine.

Le très conservateur Mike Pompeo, nommé secrétaire d’Etat par Donald Trump, avait complètement délaissé le sujet de la diversité, jusqu’à inquiéter en interne. Plusieurs sources citées par Foreign Policy soulignent pourtant que l’ouverture est une question de sécurité nationale : l’efficacité d’une agence de renseignement tient de la diversité de ses employés. «Vous ne pouvez pas embaucher un Américain blanc pour se rendre à Bagdad», résume crûment un ancien analyste de la CIA.

Certains journalistes américains ont aussi réagi à la vidéo de promotion. Glenn Greenwald, qui a publié les révélations d’Edward Snowden sur les programmes de surveillance de la NSA, l’agence de sécurité américaine, a critiqué la stratégie de communication des services de renseignement. Celles-ci utilisent les atours de l’activisme politique comme «un déguisement» qui détourne le regard de leurs pratiques controversées. «Qui pourrait s’opposer à une institution qui offre des gestes aussi nobles et travaille derrière une si jolie façade ?» ironise-t-il déjà en 2015, lorsque l’agence de renseignement britannique Government Communications Headquarters (GCHQ) se parait des couleurs du drapeau arc-en-ciel.