L’Iran a mis deux jours à réagir officiellement. La République islamique a démenti lundi « catégoriquement » tout lien avec l’assaillant qui a poignardé Salman Rushdie. « Personne n’a le droit d’accuser la République islamique d’Iran », a affirmé Nasser Kanani, porte-parole du ministère des Affaires étrangères dans la première réaction de Téhéran à l’attaque contre l’écrivain britannique.
Toutefois, nulle condamnation de l’attaque. Au contraire. « Dans cette attaque, seuls Salman Rushdie et ses partisans mériteraient d’être blâmés et même condamnés, souligne le porte-parole lors de sa conférence de presse hebdomadaire à Téhéran. « En insultant les choses sacrées de l’islam et en franchissant les lignes rouges de plus d’un milliard et demi de musulmans et de tous les adeptes des religions divines, Salman Rushdie s’est exposé à la colère et à la rage des gens ».
Une déclaration à l’unisson de la presse iranienne, qui dès dimanche rivalisait d’idées pour louer le geste de l’agresseur. Comme le quotidien iranien, Kayhan, qui a publié dimanche un pastiche infâme de Shakespeare. «Les lâches meurent mille fois avant leur mort», écrivait le dramaturge en 1599 dans Jules César. Se réjouissant de la violente attaque au couteau contre Salman Rushdie de ce vendredi, le journal ultraconservateur ose titrer ainsi l’éditorial de son édition dominicale : «Les apostats condamnés meurent plusieurs fois avant leur mort».
L’agression de l’écrivain britannique menacé de mort depuis une «fatwa» de l’Iran en 1989, un an après la publication des Versets sataniques, est célébrée par des extrémistes du pays. Ainsi Kayhan salue le geste d’Hadi Matar, l’agresseur présumé : «Peu importe que l’auteur britannique d’origine indienne du roman blasphématoire meure ces jours-ci ou vive encore quelques années. Ce qui est important, c’est le courage du musulman américain Hadi Matar».
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Présenté à un juge de l’Etat de New York, ce dernier a plaidé, par la voix de son avocat, «non coupable» de «tentative de meurtre» sur Salman Rushdie. Les procureurs américains ont pourtant estimé que l’attaque de vendredi était préméditée. Ce dimanche, plusieurs titres de la presse iranienne avancent des hypothèses conspirationnistes. Ainsi un autre journal conservateur, Javan, évoque l’hypothèse d’un complot ourdi par les Américains : «Un autre scenario, c’est que les Etats-Unis veulent probablement propager l’islamophobie dans le monde», théorise le quotidien.
Dans un autre article, le journal Kayhan brandit une menace contre Donald Trump et Mike Pompeo. Les deux anciens responsables américains, qui sont «les principaux auteurs de l’assassinat du général Qassem Soleimani», éliminé lors d’un raid américain en Irak en 2020. «L’attaque contre Salman Rushdie a montré la faiblesse du renseignement des Etats-Unis et a démontré que même des mesures de sécurité strictes ne peuvent empêcher des attentats. Elle prouve aussi que se venger de criminels sur le sol américain n’est pas difficile. Désormais, Trump et Pompeo se sentiront plus menacés», écrit le journal ultraconservateur.
Rapprochement avec l’accord sur le nucléaire
Le même titre, dans un article listant des réactions d’Iraniens à l’attaque de ce vendredi, cite le tweet d’un professeur de littérature anglaise à l’Université de Téhéran, Mohammad Marandi. «Je ne verserai pas de larmes pour un écrivain qui déverse une haine et un mépris sans fin pour les musulmans et l’islam», écrit cet Iranien né aux Etats-Unis. Et de verser dans le complotisme : «N’est-il pas étrange que, alors que nous approchons d’un accord nucléaire potentiel, les Etats-Unis prétendent que l’on a voulu tuer [John] Bolton… Et deux jours plus tard ceci se produit ?» L’universitaire fait ici référence à une déclaration du ministère de la justice américain datant de ce mercredi. Cette dernière affirmait qu’un Iranien avait été inculpé pour avoir offert de verser 300 000 dollars à des individus aux Etats-Unis afin de tuer l’ancien conseiller à la sécurité nationale de la Maison Blanche.
Un autre quotidien, le Hamshahri, a fait le parallèle avec les négociations d’un accord sur le nucléaire iranien qui se déroulaient la semaine dernière à Vienne - énième tentative pour sauver l’accord conclu en 2015 et torpillé par le retrait unilatéral des Etats-Unis en 2018 sous Donald Trump. Un temps réputé «modéré» jusqu’à ce qu’il n’organise un «concours international de caricatures sur l’Holocauste» en 2006 le journal s’interroge dans le titre d’un article publié ce dimanche : «L’attaque contre Salman Rushdie était-elle planifiée ?» Pour y répondre, il donne la parole à plusieurs «députés et experts des questions internationales et américaines». Aucun des cinq hommes interrogés ne vient étayer cette thèse conspirationniste. Mais tous considèrent que Salman Rushdie, «coupable» à leurs yeux d’avoir «insulté le prophète, mérite le traitement le plus sévère».
Mis à jour : ce lundi à 10 h 15 avec la réaction officielle de la République d’Iran.