Une réforme voulue par Emmanuel Macron, modifiant en profondeur la haute hiérarchie du ministère des Affaires étrangères et provoquant un état d’ébullition inédit chez les diplomates peut-elle être conduite sans l’avis des parlementaires ? A l’unisson, députés et sénateurs répondent par la négative. Ce mercredi, le président de la commission des affaires étrangères de l’Assemblée nationale a donc acté le lancement d’un travail «urgent» sur la refonte de la haute hiérarchie du Quai d’Orsay, initiée par l’exécutif.
Deux députés, Vincent Ledoux (Renaissance) et Arnaud Le Gall (Nupes) sont chargés de rédiger un rapport, d’ici à décembre, sur la réforme du corps diplomatique. «Nous avons quelque chose à dire» sur cette réforme, a affirmé ce mercredi le président (Renaissance) de la commision Jean-Louis Bourlanges, jugeant «anormal qu’une réforme de cette importance n’ait pas fait l’objet d’une discussion, d’une délibération au sein du Parlement». «C’est tout l’outil diplomatique français qui est en cause», a-t-il ajouté.
Une réforme «inutile» et «dangereuse»
Et pour cause. Inscrite dans la réforme des grands corps de l’Etat voulue par le président de la République, la refonte de la haute pyramide du Quai et de l’organisation des carrières au sein du ministère est contestée. Concrètement, la réforme enterre deux corps historiques du ministère de l’Europe et des Affaires étrangères, celui des conseillers des affaires étrangères et des ministres plénipotentiaires. A partir du 1er janvier 2023, les diplomates concernés auront la possibilité d’intégrer le nouveau corps des administrateurs de l’Etat, créé par la réforme.
Selon le gouvernement, cette réorganisation vise à encourager la mobilité des hauts fonctionnaires. En clair, qu’un préfet ou un inspecteur des finances puisse découvrir la diplomatie et vice versa. Chez les diplomates, cette mise en concurrence passe mal. Le 2 juin, près d’un millier de fonctionnaires du Quai se sont mis en grève, soutenus par plusieurs ambassadeurs en poste. «On casse un outil qui fonctionne», grinçait l’un d’eux début septembre. «La compétence du corps diplomatique français est reconnue dans le monde entier», soulignait également fin août l’ancienne ambassadrice Sylvie Bermann, passée par Pékin, Londres et Moscou, dans un entretien à Acteurs publics. «Il serait dommage de se priver de la compétence de ce corps», complétait cette diplomate chevronnée.
En juillet, la commission des affaires étrangères du Sénat réclamait déjà, dans un rapport, la suspension d’une réforme jugée «inutile» et «dangereuse». «Cette réforme n’apporte aucune amélioration au statut, à l’efficacité de nos diplomates et au rayonnement de notre pays à travers le monde», estimait alors Christian Cambon, sénateur LR et le président de la commission. Bipartisane, la mission d’information lancée à l’Assemblée permettra aux parlementaires d’entendre la voix de la majorité et des oppositions sur ce sujet. «C’est une demande unanime de la commission de s’intéresser à ce sujet essentiel qui concerne notre action extérieure», avance ainsi Arnaud Le Gall.
Emmanuel Macron défend une «bonne» réforme
Reste qu’au sommet de l’Etat, la réforme est actée. Lors de la traditionnelle conférence des ambassadeurs, organisée fin août à l’Elysée, Emmanuel Macron a ainsi appelé les diplomates à «s’approprier» la réforme. Reconnaissant seulement un «trouble» régnant au Quai d’Orsay, le chef de l’Etat a défendu une «bonne» réforme, qui doit permettre selon lui «d’avoir une diplomatie encore plus agile».
Devant le parterre d’ambassadeurs venus l’écouter, Macron avait toutefois tenté d’apaiser les esprits, en annonçant la tenue d’«Etats généraux de la diplomatie» à l’automne, ainsi que la création de cent postes au sein du ministère. Dans la foulée, la ministre de l’Europe et des affaires étrangères Catherine Colonna a reconnu à son tour que le «ministère a besoin d’un moment d’écoute, de dialogue et de réflexion pour redéfinir le sens de son action collective».