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Libération
Reportage

Arrestations d’avocats en Tunisie : à Paris, la profession monte au créneau pour dénoncer «un palier franchi»

La Tunisie après Ben Alidossier
Une centaine d’avocats se sont réunis ce vendredi à proximité de l’ambassade de Tunisie pour dénoncer la double arrestation arbitraire de leurs confrères tunisiens.
A Toulouse aussi, des avocats ont manifesté leur soutien à Sonia Dahmani et Mehdi Zagrouba, vendredi. (Pat Batard/Hans Lucas)
par Emma Larbi
publié le 17 mai 2024 à 20h55

«Nous sommes tous des avocats tunisiens», scandent mégaphone en main et robe noire sur le dos une centaine d’avocats réunis dans le VIe arrondissement de Paris, place André-Tardieu, à quelques rues de l’ambassade de Tunisie. A l’appel de la Conférence internationale des barreaux, ils sont venus, ce vendredi 17 mai, demander la libération de l’avocate Sonia Dahmani, poursuivie pour «fausse informations» après des propos sarcastiques tenus lors d’une émission, dont l’arrestation violente, le 11 mai dans les locaux de l’ordre des avocats de Tunis, avait sidéré. Mehdi Zagrouba, son confrère et conseil dans cette affaire, a lui aussi été arrêté dans les mêmes circonstances trois jours plus tard, avant d’être hospitalisé après «des actes de tortures» subis en détention, selon l’ordre national des avocats de Tunisie.

«Signe avant-coureur»

«Les avocats sont la dernière barrière pour défendre les plus vulnérables et cette barrière a été bafouée, lâche, ému et agrippé à une pancarte imprimée aux visages des concernés, Mohamed Ben Saïd, du Comité pour le respect des libertés et des droits de l’homme en Tunisie. Ce n’est pas pour ça que la révolution a été faite.» «Qu’on porte une robe d’un côté ou de l’autre de la Méditerranée, on est tous avocats», souligne Niels Bernardini, président de la Fédération nationale des unions des jeunes avocats. «C’est la première fois qu’on voit ça, sans mandat et sans autorisation», rappelle Abderrazak Kilani, ancien bâtonnier de l’ordre national de Tunisie, en exil en France. «On n’a jamais vu des flics venir cagoulés», rappelle l’opposant politique, faisant référence à l’arrestation de sa consœur, retransmis en direct par France 24. «Ce qui se passe en Tunisie peut être un signe avant-coureur pour nous aussi, s’inquiète Patrick Lingibé, avocat au barreau de Guyane. Si la maison du voisin brûle, pourquoi pas la nôtre ?»

Jeudi, en parallèle d’une forte mobilisation des avocats à Tunis, le Président, Kaïs Saïed, fustigeait les inquiétudes des Etats étrangers, considérées comme «une ingérence flagrante et inacceptable». Si l’Union européenne, la France et les Etats-Unis ont communiqué avec prudence sur la situation, les robes noires françaises appellent à une plus vive prise de position. «Nous demandons aux autorités françaises et européennes d’agir avec détermination et de suspendre sans délai le mémorandum d’entente sur un partenariat stratégique et global entre la Tunisie et l’Union européenne, ainsi que l’intégralité des aides financières, déclare solennellement devant la foule Julie Couturier, avocate et présidente du Conseil national des barreaux. Aujourd’hui, un pallier de plus a été franchi, nous ne pouvons évidemment pas l’accepter.» Le conseil a annoncé la saisine à venir du rapporteur spécial des Nations unies sur l’indépendance des juges et des avocats.

Deux Tunisie face à face

Alors qu’une délégation du barreau de Paris a tenté de remettre à l’ambassade tunisienne ses revendications sous forme d’une lettre, ordre a été donné d’empêcher l’accès au bâtiment diplomatique, Tunis refusant le dialogue. «On n’a qu’à y aller en retirant nos robes ?» propose à la foule une avocate. «Si on enlève nos robes, alors nous ne sommes plus personne», lui rétorque une consœur. Un petit groupe a finalement pu rejoindre la rue où se trouve l’ambassade, mais sans avoir été reçu et sans avoir pu déposer la fameuse missive dans une boîte aux lettres.

Ahmed Maalej, avocat au barreau de Paris, observe d’un œil déçu les quelques individus tenus à distance par les forces de l’ordre, venus soutenir le président Kaïs Saïed aux cris de «vive la Tunisie» : «Ils sont peu, mais ils parlent fort», lâche le conseil. «Vive la Tunisie, mais à bas la dictature !» hurle Sabrine Bouzeriata, militante tunisienne des droits humains exilée en France. En 2011, elle avait participé à la révolution. «J’y ai cru à l’époque et j’y crois encore», dit-elle. De chaque côté du boulevard des Invalides, on s’invective drapeau brandi, comme deux Tunisie qui s’affrontent.