Un Président tout sourire, disponible, s’arrêtant même pour parler à des inconnus rencontrés au hasard dans un lobby d’hôtel : Emmanuel Macron semble parfaitement dans son élément pendant une visite de deux jours à Bangkok, où se tient le sommet de la Coopération économique pour l’Asie-Pacifique (Apec), vendredi et samedi. La dernière visite présidentielle française dans le pays remonte à 2006 (Jacques Chirac, donc) et Emmanuel Macron est le premier chef d’Etat européen jamais invité à l’événement. «Beaucoup d’entre vous se demandent ce qu’un président français vient faire à l’Apec, et je les comprends, lance-t-il même en guise d’introduction lors de son discours devant les grands patrons de la région, sous les rires et les applaudissements. La vérité, c’est que la France n’est pas qu’un pays européen, mais bien une nation indopacifique, grâce à ses territoires ultramarins et sa zone maritime de 11 millions de kilomètres carrés.»
Le Président n’aura eu de cesse de vouloir démontrer la légitimité de la France dans la région, notamment dans le cadre des stratégies indopacifiques de la France et de l’Union Européenne, qui visent à multiplier les relations commerciales et diplomatiques avec les pays de la zone. Lancée en 2018, la stratégie française originelle souhaitait s’appuyer sur «un axe Paris-New Delhi-Canberra». Mais après l’annulation en dernière minute du «contrat du siècle» par l’Australie, portant sur la vente de 12 sous-marins à propulsion conventionnelle, pour une valeur de 56 milliards d’euros, en septembre 2021, la diplomatie française avait dû repenser sa stratégie, à s’appuyer davantage sur les puissances moyennes de la région, notamment les pays du Sud-Est asiatique, comme l’Indonésie ou la Thaïlande.
Comparaison animalière
L’occasion pour la France de proposer une «voie alternative» aux pays de la région, de plus en plus pris en étau dans la confrontation entre les Etats-Unis et la Chine. «Les pays d’Asie du Sud-Est ne veulent pas être entraînés dans une néo-guerre froide, affirme le politologue et éditorialiste Thithinan Pongsudhirak. Pourtant dans tous les domaines et particulièrement dans le domaine technologique, ils sont de plus en plus souvent sommés de choisir leur camp.» La France se rêve donc en partenaire possible pour «établir un équilibre dynamique» selon Emmanuel Macron, qui s’est expliqué en recourant à une surprenante comparaison animalière : «C’est comme si dans la jungle, il y avait deux éléphants très agités. S’ils se mettent à se battre, c’est toute la jungle qui va en souffrir. Pour éviter cela, il y a besoin du concours de tous les autres animaux, les tigres et… euh… les singes…», a-t-il conclu, visiblement hésitant quant à l’animal qui serait le mieux approprié pour décrire la France ou la Thaïlande, sous les applaudissements – encore – d’un public asiatique friand de ce genre de métaphores.
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Il ne s’agit pas, néanmoins de se positionner en chef des non-alignés : «Nous sommes résolument du côté de nos alliés, les Etats-Unis, contre le rival systémique, la Chine, qui prend des positions de plus en plus hégémoniques dans la région», affirme une source diplomatique française en Thaïlande. Pas tout à fait une voie du milieu donc, mais une troisième voie quand même. Les chancelleries utilisent désormais le terme de «diplomatie des interstices» pour décrire la place à prendre au côté des pays qui souhaitent garder leurs distances avec les rivalités sino-américaines.
«Déficit d’image» mutuel
Depuis septembre 2020, la France est devenue officiellement «partenaire de développement de l’Asean», un engagement qui l’incite à accompagner des projets régionaux dans le domaine de la «connectivité» (les infrastructures de transport ou de télécommunications), de «l’économie bleue» (les océans) ou du dérèglement climatique. L’Agence française de développement, qui a vu son budget pour la zone augmenter depuis 2018, soutient un programme de transition énergétique dans la région.
Si les investissements concrets et les partenariats stratégiques dans la zone tardent encore à venir, Paris et Bangkok espèrent néanmoins que cette visite viendra pallier un «déficit d’image» dont ils souffrent mutuellement. La France parce qu’elle est «mal connue en Thaïlande, où on lui préfère souvent l’Allemagne ou le Japon, plus visibles», regrette Jean-Marie Pithon, patron de Dextra, une compagnie de construction installée en Thaïlande. La Thaïlande parce qu’elle reste perçue, malgré des performances remarquables dans certains domaines comme la construction automobile ou la production d’équipements informatiques, comme une destination de loisir, parfois sulfureuse, et non comme une puissance industrielle.