Au fond d’un restaurant discret, avec sa petite chemise à carreaux et ses fines lunettes, Saw Jay a l’allure d’un étudiant thaï. Seules ses dents teintées par le bétel, un mélange de noix et tabac à chiquer, trahissent son identité birmane. Anxieux, il jette des regards par-dessus son épaule, de peur d’être repéré par la police thaïlandaise ou des agents d’information birmans, nombreux selon lui, dans cette zone frontalière. Quand il a passé illégalement la frontière pour entrer en Thaïlande, il y a près de trois semaines, la sécurité dans la région n’était pas aussi stricte qu’aujourd’hui : il a échappé à la détention (et par la même occasion à la quarantaine sanitaire) dans l’un des camps installés par l’armée thaïlandaise pour accueillir les réfugiés birmans et éviter qu’ils ne circulent dans le pays.
Pour ce jeune directeur d’une ONG birmane impliquée dans la défense des Karens – ethnie minoritaire à cheval entre la Thaïlande et la Birmanie – et conseiller en communication d’une élue, la décision de quitter Rangoun n’a pas été facile. «Je ne voulais pas fuir, assure-t-il, mais mes amis et collègues ont disparu, un par un. Ils ont été enlevés de nuit, chez eux. Depuis, aucune nouvelle. On a fini par décider que je serai plus utile en organisant la résistance de l’extérieur plutôt que mort ou en prison.» Il s’est rendu d’abord dans plusieurs provinces birmanes, dans l’espoir de trouver un endroit sûr d’où il pourrait travailler, mais la coupure généralisée du