A force de voir les photos défiler, on ne sait parfois plus de quelle révolution il s’agit. De jeunes visages asiatiques, des casques de couleurs vives et des boucliers de fortune. Les images qui nous parviennent des récents mouvements sociaux à Hongkong, en Thaïlande et en Birmanie se ressemblent étrangement. Partout, ce fameux salut, trois doigts unis et levés, tiré du film Hunger Games – une dystopie qui dépeint un monde dominé par une minorité riche et cruelle –, devenu le symbole de la lutte contre toutes les formes de dictature.
Les modes opératoires de ces foules en colère s’inspirent largement les uns des autres. D’abord, le fait de créer plusieurs lieux de rassemblement à travers la ville au lieu d’un unique grand raout, facilement pris en étau par les forces de police. Ce sont les Hongkongais les premiers qui ont lancé le concept, traduit par une devise célèbre d’un film de Bruce Lee : «Soyez comme de l’eau.» Au gré de la dispersion des effectifs de police, les différents groupes de manifestants sont appelés à se rejoindre ou à se séparer. Un langage des signes, parfois relayé sur des distances importantes par des manifestants qui ne se connaissent pas entre eux, permet de savoir s’il faut continuer, attendre ou rebrousser chemin. «Personne n’est un leader, tout le monde est un leader», est aussi une phrase entendue au cours des manifestations dans les trois pays : une façon de remédier au fait que les véritables dirigeants de ces mouvements sont emprisonnés. Des mégaphones circulent et tous ceux qui veulent s’essayer à chauffer la foule peuvent le faire. Les meilleurs orateurs, ceux qui sont le plus applaudis, gardent la parole plus longtemps.
Mais le point commun le plus important aux trois mouvements est sans doute la créativité de ces moins de 30 ans, qui se battent en première ligne. Slogans inspirés directement de vannes de réseaux («Mon ex mentait mieux que les militaires» vu à Rangoun), déguisements hilarants de dinosaures en Thaïlande (pour dénoncer la vieille garde politique) ou de princesses de dessins animés… Il n’y a pas toujours de sens profond à ces performances, mais plutôt une volonté de capter l’attention des médias de la part d’une jeunesse qui a une connaissance instinctive de la façon dont ils fonctionnent. «On essaie toujours de créer un nouvel événement, expliquait en octobre Pai Chotchailert, un membre du réseau Free Youth en Thaïlande, alors que le mouvement étudiant organisait plusieurs manifestations par semaine. On réfléchit à ce qui fera de belles photos, ce qui sera publié, même s’il ne s’est pas forcément passé énormément de choses depuis le dernier événement.»
Bien sûr, chaque mouvement a des revendications propres en fonction du contexte social et politique. Les Birmans luttent contre un coup d’Etat au péril de leur vie, les Thaïlandais ont fait de l’abrogation du crime de lèse-majesté l’une de leurs demandes principales. Mais dans ces mobilisations de la jeunesse asiatique, certaines convergences notables apparaissent. Notamment un ras-le-bol généralisé des inégalités sociales, particulièrement marquées dans cette région du monde, une opposition à l’ingérence de l’armée et au système de patronage où les plus âgés et les plus riches doivent toujours être traités avec déférence, parfois au détriment de l’Etat de droit.