C’est une invitée qui commence à sérieusement déranger son hôte. Sheikh Hasina, ex-première ministre du Bangladesh, est exilée en Inde depuis qu’elle a été chassée du pouvoir le 5 août. Ce jour-là, des milliers de manifestants investissent sa résidence et la poussent à fuir en hélicoptère vers le pays voisin. Point final d’un mois de contestation étudiante contre un projet du gouvernement qui visait à rétablir les quotas d’embauche dédiés aux descendants des combattants de l’Indépendance. Dans un pays marqué par un fort taux de chômage chez les jeunes, cette mesure – qui avait pourtant été abolie une première fois en 2018 – fut l’étincelle qui a précipité la chute du gouvernement. Agée de 76 ans, la fille de Mujibur Rahman héros de l’indépendance nationale, était déjà fortement critiquée pour sa dérive autoritaire après plus de quinze années au pouvoir.
Les étudiants à la tête du mouvement de contestation réclament désormais son retour au Bangladesh afin qu’elle soit jugée pour la répression des manifestations qui a fait plus de 400 morts. Mais pour l’instant, les autorités intérimaires n’ont pas formulé de demande d’extradition auprès de l’Inde. Le gouvernement du prix Nobel de la paix Muhammad Yunus, de retour d’exil après avoir été appelé par l’armée, reste prudent et relativement silencieux sur cette question. «Etant donné les nombreuses poursuites contre Sheikh Hasina au Bangladesh, il est concevable que notre ministère de l’Intérieur et notre ministère de la Justice puissent officiellement demander son extradition», élude dans un entretien le 15 août à Reuters TV Mohammed Touhid Hossain, conseiller au ministère des Affaires étrangères. Il justifie cette prudence par le fait qu’une telle demande ternirait les relations avec l’Inde, qui voyait dans Sheikh Hasina une alliée fidèle dans la région.
Soutien de Narendra Modi
Et New Dehli ne peut pas se permettre de lâcher une telle alliée d’un point de vue diplomatique. Selon Thomas Kean, de l’International Crisis Group, interrogé par l’AFP, «il est clair que l’Inde ne souhaite pas l’extrader. […] Cela n’enverrait pas un bon message à ses alliés de la région […] qui pourraient douter de la volonté de l’Inde de les protéger». Une influence qu’elle cherche notamment à préserver face à l’influence croissante de Pékin dans la région. L’Inde a déjà vu la défaite, l’année dernière, d’un de ses alliés à la présidentielle aux Maldives au profit d’un candidat prochinois.
Tribune
En attendant une éventuelle demande d’extradition – il existe bien un traité entre les deux pays, mais une de ses clauses stipule toutefois qu’elle peut être refusée si elle vise un crime ou un délit «de nature politique» –, le gouvernement intérimaire a supprimé le passeport diplomatique de Sheikh Hasina. Elle ne peut donc plus quitter l’Inde. Et commence doucement à s’agacer du soutien de Narendra Modi vis-à-vis de l’ancienne Première ministre.
Pendant la révolte au Bangladesh, des médias indiens proches du gouvernement ont soufflé sur les braises des violences. Notamment après des attaques contre des hindous bangladais et quelques temples dédiés à leur foi. Narendra Modi, qui agite sans cesse le nationalisme hindou pour asseoir son pouvoir, en avait rajouté une couche en août, lors de la fête de l’indépendance. Il avait alors suggéré que la minorité présente au Bangladesh puisse être menacée.
«Malheureusement, l’attitude de l’Inde ne favorise pas la confiance.»
Fakhrul Islam Alamgir, l’un des dirigeants du Parti nationaliste du Bangladesh membre de l’opposition réprimée par l’ancien pouvoir, regrette que l’Inde maintienne son soutien à Sheikh Hasina. «Le peuple du Bangladesh souhaite vivre une relation apaisée avec l’Inde mais pas au prix de ses intérêts, affirme-t-il à l’AFP. Malheureusement, l’attitude de l’Inde ne favorise pas la confiance.»
La méfiance envers l’immense pays voisin continue de croître dans les manifestations. Lors de certains rassemblements, qui continuent d’avoir lieu dans la capitale bangladaise, des participants vont jusqu’à qualifier l’Inde d’être responsable des récentes inondations qui ont fait plus de 40 morts au Bangladesh. Selon eux, celles-ci auraient été provoquées par des lâchers d’eau de barrages indiens. Une fausse accusation tellement reprise que le ministère des Affaires étrangères lui-même a dû la réfuter.