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Crise politique

Bangladesh : le prix Nobel de la paix Muhammad Yunus nommé à la tête d’un gouvernement intérimaire

Le président bangladais a accepté de nommer l’économiste de 84 ans pour diriger le pays. Apprécié des étudiants contestataires, il est célèbre pour avoir théorisé le concept de microcrédit, lui valant le surnom de «banquier des pauvres».
Muhammad Yunus à Dacca, le 28 janvier 2024. (Mahmud Hossain Opu/AP)
publié le 6 août 2024 à 11h25
(mis à jour le 6 août 2024 à 21h56)

Un prix Nobel pour diriger le Bangladesh. Au lendemain de la prise de contrôle du pays par l’armée et la fuite à l’étranger de la Première ministre, le prix Nobel de la paix Muhammad Yunus a été nommé ce mardi 6 août à la tête du gouvernement intérimaire par le président du Bangladesh, ouvrant la voie à une sortie de crise après des semaines de contestations étudiantes. Son nom avait été proposé par les manifestants pour sa «renommée internationale». «Je suis touché par la confiance des protestataires qui me souhaitent à la tête du gouvernement intérimaire», avait souligné Muhammad Yunus, qui s’était dit prêt à porter une telle responsabilité.

La décision «de former un gouvernement intérimaire […] avec Yunus comme chef» a été prise lors d’une rencontre entre le président Mohammed Shahabuddin, des hauts dignitaires de l’armée et des responsables du collectif Students Against Discrimination (Etudiants contre la discrimination), principal mouvement à l’origine des manifestations initiées début juillet, a précisé le service de presse de la présidence.

«J’ai toujours mis la politique à distance […] Mais aujourd’hui, s’il faut agir au Bangladesh, pour mon pays, et pour le courage de mon peuple alors je le ferai», poursuit-il, tout en appelant à l’organisation d’«élections libres». Plus tôt dans la journée, Nahid Islam, le principal leader du collectif Students Against Discrimination (Etudiants contre la discrimination) avait annoncé dans une vidéo avoir «décidé que le gouvernement» serait formé avec, en tant que «conseiller principal», «le Dr Muhammad Yunus». «Nous faisons confiance au Dr Yunus», avait réitéré sur Facebook Asif Mahmud, l’un des autres dirigeants du collectif.

Ces déclarations qui interviennent alors que le chef de l’armée bangladaise, le général Waker uz Zaman, doit rencontrer les dirigeants du mouvement étudiant ce mardi. La veille, il avait annoncé la formation prochaine d’un gouvernement intérimaire, promettant de réparer «toutes les injustices».

Depuis plusieurs heures, les manifestants exigeaient également la dissolution du parlement, tout comme le Bangladesh Nationalist Party (BNP) - le principal parti d’opposition. Dans une vidéo publiée sur Facebook, Nahid Islam appelait à dissoudre avant 15 heures ce mardi (11 heures à Paris), et demandait aux «étudiants révolutionnaires d’être prêts» si cela ne se produisait pas. Ce mardi, le président du Bangladesh, Mohammed Shahabuddin, leur a donné satisfaction, selon un porte-parole de la présidence.

Des annonces en cascade, qui font suite au départ précipité dans la journée de la Première ministre Sheikh Hasina, qui a démissionné et fui le pays à bord d’un hélicoptère pour gagner l’Inde. Sa mise à pied était réclamée depuis des semaines par les dizaines de milliers d’étudiants qui manifestaient contre les quotas d’embauche dans la fonction publique, et qui s’étaient vus violemment réprimés par les forces de l’ordre et les partisans de la dirigeante. Lundi encore, au moins 109 personnes ont été tuées selon la police et des médecins. Au total, plus de 400 personnes sont mortes depuis le début des manifestations début juillet.

«Un pays occupé» sous Sheikh Hasina

De son côté, Muhammad Yunus prônait dans un premier temps ne pas être «un homme politique», dans les colonnes du Figaro lundi, et qu’il ne l’avait «jamais été». «Déjà, en 2007, quand l’armée a pris le pouvoir, elle m’a sollicité et j’ai refusé. Je veux rester loin de la politique. Maintenant, si on me dit que c’est une urgence nationale, que toutes les autres possibilités ont été explorées en vain, alors je peux conduire le gouvernement. Mais il faut que les circonstances l’exigent», avait-il poursuivi.

Agé de 84 ans, le lauréat du prix Nobel en 2006 est connu pour avoir sorti des millions de personnes de la pauvreté grâce à sa banque de microfinance pionnière en la matière. Mais au fil des années, il s’était attiré l’inimitié persistante de Sheikh Hasina, qui l’a accusé de «sucer le sang» des pauvres. Dans un entretien accordé au journal indien The Print lundi, il a affirmé que le Bangladesh avait été «un pays occupé» sous le régime de celle qu’on surnomme la «Bégum de fer». «Aujourd’hui, tous les habitants du Bangladesh se sentent libérés», s’est félicité Muhammad Yunus.

Après l’annonce de la démission de Sheikh Hasina, des millions de Bangladais ont envahi les rues de Dacca, la capitale, lundi. Les manifestants ont envahi le parlement, incendié des chaînes de télévision pro-gouvernementales et brisé des statues du père de la Première ministre Sheikh Mujibur Rahman, héros de l’indépendance du pays. Les bureaux de la Ligue Awami, le parti de la dirigeante, ont eux été incendiés et pillés.

«Nous avons besoin de réponses»

En fin de journée, le chef de l’armée a rencontré le président Mohammed Shahabuddin, ainsi que les principaux dirigeants de l’opposition, en vue de former un gouvernement intérimaire. Le président en a profité pour ordonner la libération des personnes arrêtées lors des manifestations, ainsi que la libération de l’ex-Première ministre Khaleda Zia. Grande rivale de Sheikh Hasina, la cheffe du Parti nationaliste du Bangladesh (BNP) avait été condamnée en 2018 à 17 ans de prison pour corruption. Moins de 24 heures après la prise de parole du président, Khaleda Zia a été libérée ce mardi, selon le porte-parole de son parti.

Le même jour, les mères de certains des centaines de prisonniers politiques secrètement emprisonnés sous le régime de Sheikh Hasina attendaient devant les services du renseignement militaire à Dacca, espérant des nouvelles. «Nous avons besoin de réponses», a martelé Sanjida Islam Tulee, coordinatrice de «Mayer Daak» («l’appel des mères»), qui milite pour la libération des personnes détenues par les forces de sécurité de l’ancienne dirigeante.

Désormais, les puissances occidentales appellent «au calme» et à une «transition démocratique» au Bangladesh. «Toutes les décisions concernant un gouvernement provisoire devront être prises dans le respect des principes démocratiques, de l’Etat de droit et de la volonté du peuple bangladais», a insisté le porte-parole du ministère américain des Affaires étrangères, Matthew Miller. Lundi, Washington a aussi tenu à saluer le rôle de l’armée, qui a rapidement annoncé la formation d’un gouvernement provisoire après la fuite de Sheikh Hasina.

Mis à jour à 12h20 avec la dissolution du parlement ; à 16h20 avec l’accord de Muhammad Yunus ; à 21 heures 50, avec la nomination de Muhammad Yunus.