En l’espace d’un mois, au moins 206 personnes ont été tuées au Bangladesh, au cours de manifestations étudiantes ayant viré à de violents heurts avec les autorités. Soit les pires violences que le pays ait connues sous le mandat de la Première ministre, Sheikh Hasina, 76 ans, qui dirige son pays d’une main de fer depuis 2009. Après avoir protesté contre le système de quotas imposés pour le recrutement dans la fonction publique, puis contre la réponse répressive des forces de l’ordre, c’est désormais la fin du mandat de Sheikh Hasina que réclament des dizaines de milliers de jeunes Bangladais. Libération retrace un mois de crise politique.
Décryptage
1er juillet : début des blocages
Des étudiants se mettent à bloquer quotidiennement routes, autoroutes et lignes ferroviaires, perturbant le fonctionnement des transports. Ils protestent contre un système de quotas imposés pour recruter dans la fonction publique, qui réserve 30 % des postes aux enfants des anciens combattants de la guerre de libération du Bangladesh contre le Pakistan, une catégorie de population réputée proche du pouvoir en place. De nombreuses voix assurent que le programme bénéficie aux enfants issus des cercles soutenant Sheikh Hasina, au détriment de candidats plus méritants sans emploi. Le 7 juillet, la Première ministre déclare que les étudiants «perdent leur temps» et qu’il n’y a «aucune justification» à exiger une réforme du système.
11 juillet : début de la répression policière
La police commence à contrer les manifestations. Elle tire des balles en caoutchouc et du gaz lacrymogène à Comilla, une ville de l’est, pour disperser 150 personnes qui tentaient d’arrêter la circulation sur une importante autoroute. Mais elle ne parvient pas à maîtriser des milliers de jeunes manifestants à Dacca, la capitale. Le 15 juillet, plus de 400 personnes sont blessées dans des affrontements entre des groupes d’étudiants rivaux sur le campus de l’université de Dacca, l’établissement d’enseignement supérieur le plus prestigieux du pays.
16 juillet : premiers morts
Six personnes sont tuées dans les affrontements dans trois villes, dans un contexte de tensions accrues par les événements de la veille. Le gouvernement ordonne la fermeture de tous les établissements scolaires et universitaires. Les forces paramilitaires des gardes-frontières du Bangladesh (BGB) sont déployées dans cinq grandes cités.
17 juillet : Sheikh Hasina s’adresse à son pays
Environ 500 manifestants organisent à l’université de Dacca les funérailles des six personnes mortes la veille. La cérémonie est très rapidement interrompue par la police antiémeute. Sheikh Hasina prononce un discours sur la chaîne nationale de télévision publique Bangladesh Television (BTV). Elle appelle au calme et jure que chaque «meurtre» commis pendant les troubles sera puni, quel qu’en soit le responsable. Un septième manifestant aurait été tué quelques heures après son discours.
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18 juillet : bâtiments incendiés et internet coupé
Les étudiants retournent dans la rue pour scander «A bas la dictatrice !» Au moins 32 personnes sont tuées et des centaines d’autres blessées au cours de heurts. Dans la capitale, des manifestants incendient le siège de BTV, des dizaines de postes de police et d’autres bâtiments gouvernementaux. La chaîne privée Independent Television fait état d’affrontements dans au moins 26 des 64 districts du Bangladesh. Une coupure quasi totale d’internet est imposée par les autorités.
19 juillet : rassemblements interdits
Les rassemblements publics à Dacca sont interdits pour «assurer la sécurité publique», mais les violences s’intensifient. Des milliers de personnes prennent d’assaut une prison dans le district central de Narsingdi, libérant plus de 800 détenus avant de mettre le feu à une partie de l’établissement. Tard dans la nuit, le gouvernement annonce un couvre-feu 24 heures sur 24 et le déploiement de l’armée pour maintenir l’ordre dans les villes.
20 juillet : tir à balles réelles
Les artères de la capitale sont presque désertes à l’aube tandis que les soldats patrouillent, à pied et à bord de véhicules blindés. Des milliers de personnes défient ensuite le couvre-feu pour retourner dans les rues du quartier de Rampura, à Dacca. La police tire à balles réelles sur la foule et fait au moins un blessé. La Première ministre renonce à quitter le Bangladesh le 21 juillet pour une tournée diplomatique prévue en Espagne et au Brésil.
21 juillet : la justice atténue les quotas
La Cour suprême du Bangladesh revoit à la baisse le système de quotas pour le recrutement dans la fonction publique, sans toutefois l’abolir. L’institution demande aux étudiants de «retourner en cours». Mais le principal groupe d’étudiants qui a été à l’origine des manifestations, Students Against Discrimination, affiche son intention de poursuivre le mouvement. Le bilan atteint alors les 155 morts, dont plusieurs policiers.
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22 juillet : appel à cesser les manifestations pendant 48 heures
La police annonce que plus de 500 personnes, dont des dirigeants du BNP, le parti national du Bangladesh appartenant à l’opposition, ont été arrêtées à Dacca après trois semaines de violences. Le dirigeant du mouvement étudiant Students Against Discrimination, Nahid Islam, appelle à cesser les manifestations pendant quarante-huit heures. Il demande au gouvernement «de lever le couvre-feu pendant cette période, de rétablir l’accès à l’internet et de cesser de s’en prendre aux manifestants étudiants». Le lendemain, cette suspension est encore prolongée de quarante-huit heures, alors que le bilan des arrestations est porté à plus de 2 500 personnes.
25 juillet : l’ONU demande une enquête sur la «répression» au Bangladesh
Alors que le Bangladesh assouplit le couvre-feu imposé après les manifestations, l’ONU demande au pays de «divulguer d’urgence tous les détails de [leur] répression», offrant son soutien à la mise en place d’une «enquête impartiale, indépendante et transparente» sur les violations présumées des droits humains. «Nous comprenons que de nombreuses personnes ont été victimes d’attaques violentes de la part de groupes apparemment affiliés au gouvernement, et qu’aucun effort n’a été fait pour les protéger», dénonce le Haut-Commissaire de l’ONU aux droits de l’homme, Volker Türk.
26 juillet : trois leaders étudiants emmenés hors d’un hôpital par la police
Trois leaders de Students Against Discrimination, Asif Mahmud, Nahid Islam et Abu Baker Majumder, accusés d’être à l’origine des troubles, sont emmenés d’un hôpital de Dacca par des inspecteurs de police vers un endroit inconnu, une information démentie par la police. Une responsable de l’hôpital Gonoshasthaya affirme s’être opposée à la sortie des leaders étudiants, mais que la police avait fait pression sur le directeur de l’hôpital pour qu’elle ait lieu. Au moins deux des trois étudiants étaient soignés pour des blessures causées, selon eux, par des tortures qui leur avaient été infligées en garde à vue. Le lendemain, les autorités affirment que les trois étudiants avaient été placés en détention provisoire pour leur propre sécurité.
28 juillet : les étudiants menacent de reprendre les manifestations, l’internet mobile rétabli
Exigeant la libération de leurs leaders emprisonnés et l’abandon des poursuites engagées contre eux, le mouvement Students Against Discrimination menace de reprendre les manifestations, tandis que les autorités ont rétabli l’internet mobile, après plus d’une semaine de blocage. Le ministre de l’Intérieur, Asaduzzaman Khan, affirme que la police a fait preuve de retenue durant les manifestations mais a été «forcée d’ouvrir le feu» sur des manifestants pour tenter de protéger des bâtiments gouvernementaux.
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29 juillet : reprise des manifestations d’étudiants
Le gouvernement ignorant l’ultimatum de Students Against Discrimination, les étudiants bangladais manifestent de nouveau lors de plusieurs rassemblements organisés à Dacca et ailleurs dans le pays, d’une ampleur moindre que les précédents. A Dacca, la police utilise des matraques pour disperser les protestataires, arrêtant au moins 20 personnes, selon le quotidien Prothom Alo. Les forces de sécurité sont largement déployées dans la mégapole, pour éviter d’autres rassemblements.
30 juillet : journée de deuil pour les victimes des violences
Le gouvernement appelle à une journée de deuil pour les victimes des récents troubles ayant fait plus de 200 morts, les étudiants dénonçant un manque de respect envers leurs camarades tués, tandis que l’Union européenne déplore un «usage excessif de la force» contre les manifestants. Le pouvoir à Dacca annonce l’interdiction du plus grand parti islamiste du pays, le Jamaat-e-Islaami, et sa branche étudiante, le Shibir. Cette journée de deuil est critiquée par le mouvement Students Against Discrimination.
1er août : libération des six leaders étudiants
La police libère les six leaders étudiants de Students Against Discrimination, tandis que l’opinion découvre, grâce à la fin du blocage d’internet, la violence de la répression policière. «Les six coordinateurs du mouvement contre les quotas ont été remis à leurs familles cet après-midi», déclare le commissaire adjoint Junaed Alam Sarkar. Le ministre de la Justice, Anisul Huq, affirme quant à lui que ces six personnes s’étaient portées volontaires pour être placées en garde à vue et sont «reparties de leur plein gré». Le père du leader de la coalition, Nahid Islam, déclare que son fils est rentré chez lui dans l’après-midi, sans donner plus de détails.