Dix jours sans électricité ni chauffage, alors que le mercure tombe dans les profondeurs d’un hiver rigoureux. La ville d’Ekibastouz, 150 000 habitants au nord-est du Kazakhstan, sort tout juste de son calvaire. Les autorités ont annoncé la fin jeudi d’un état d’urgence qui avait été décrété le 28 novembre, au lendemain d’un dysfonctionnement dans une centrale thermique, qui a privé plusieurs quartiers de courant pendant de longs jours.
Les images diffusées par les médias kazakhs montrent des stalactites se formant dans des appartements, tandis que des habitants transis brûlaient ce qu’ils trouvaient dans la rue pour se réchauffer par un froid polaire. Pendant ce temps, des équipes d’ouvriers se sont efforcé jour et nuit de réparer les canalisations ayant explosé sous l’effet du gel, réchauffant des jerricans à l’aide de chalumeaux pour empêcher leur contenu de geler.
Замерзающий Экибастуз. Температура -22. Горожане греются возле костров. 1.12.2022. pic.twitter.com/qlSIBOiOsK
— Azamat Maitanov (@MaitanovAzamat) December 1, 2022
Si la situation s’améliore peu à peu, la descente aux enfers d’Ekibastouz, qui a été pendant la terreur stalinienne un immense camp de travail où a notamment été enfermé le célèbre écrivain et dissident soviétique Alexandre Soljenitsyne, a suscité une colère nationale. Le populaire chanteur Dimach Koudaïbergen, 3,8 millions d’abonnés sur Instagram, a réclamé que les responsables de ce drame «purgent leur peine dans une prison sans chauffage» et paient ainsi pour les «larmes des mères restées dans la rue».
Des accidents électriques très fréquents
Face à la fronde sur les réseaux sociaux, le président Kassym-Jomart Tokaïev a limogé le gouverneur local et dépêché plusieurs hauts responsables sur place. Des radiateurs et des couvertures ont été envoyés des quatre coins du Kazakhstan. Et même au Kirghizstan voisin, où la situation énergétique n’est guère plus enviable, des fonds ont été collectés en soutien.
Cet épisode s’ajoute à une liste déjà longue d’accidents dans les infrastructures thermiques au Kazakhstan, un pays grand comme cinq fois la France. «La première fois, c’est un hasard, la deuxième une coïncidence et la troisième, la règle», estime Jakyp Khaïrouchev, un ingénieur en électricité et dirigeant d’entreprise. Hérité de l’Union soviétique, le système énergétique reste vétuste, malgré les investissements. Selon le gouvernement, l’âge moyen des centrales thermiques est de 61 ans, ce qui ramène à une époque où Nikita Khrouchtchev dirigeait l’URSS. «Plus de 1 000 arrêts d’urgence de centrales thermiques ont eu lieu en 2022, soit près de 75 000 heures», assure Jakyp Khaïrouchev.
Le minage de cryptomonnaies en accusation
Conséquence de la vétusté des installations, mais aussi de la gourmandise du pays en énergie. Kassym-Jomart Tokaïev lui-même déplore que le Kazakhstan, pays riche en hydrocarbures, soit «l’un des pays les plus énergivores du monde» et doive importer de l’électricité, en particulier de Russie. Un secteur est particulièrement pointé du doigt : le minage de cryptomonnaies, qui a explosé ces dernières années dans le pays avec des ordinateurs très consommateurs en énergie, qui accentue la tension sur le système. Et augmente le risque d’accidents dans des centrales poussées à plein régime.
Contraint de réagir, le président Tokaïev dit désormais envisager la nationalisation de certains actifs, 22 des 37 centrales thermiques appartenant au secteur privé. Mais si le gouvernement s’est défaussé sur le propriétaire de la centrale d’Ekibastouz, l’oligarque Alexander Klebanov, celui-ci lui a renvoyé la balle. Le 15e homme le plus riche du Kazakhstan d’après Forbes, a en effet assuré avoir «déjà alerté le gouvernement de la non-rentabilité de la centrale» et invoque «l’impossibilité d’augmenter les tarifs», ce qui est de la responsabilité du gouvernement. Pour Jakyp Khaïrouchev, «sans mesures urgentes, comme la hausse des tarifs, malheureusement, ce type d’accidents ne sera pas chose rare».
A lire aussi
Augmenter les tarifs de l’énergie, ce n’est jamais anodin. Au Kazakhstan, encore moins qu’ailleurs : il y a près d’un an, c’est à la suite d’une hausse brutale du prix du gaz que le pays s’était enflammé dans une vague insurrectionnelle. Le président Tokaïev avait failli être renversé et la répression avait causé plus de 200 morts. Depuis, les braises couvent : celles de la colère comme celles des braséros que les habitants d’Ekibastouz ont été obligés d’allumer ces deux dernières semaines.