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Présidentielle

Aux Philippines, la victoire de Ferdinand Marcos Junior inquiète les anciennes victimes de son père

Des citoyens ayant subi ou été témoins des atrocités commises par l’administration du défunt dictateur Ferdinand Marcos craignent un retour du clan au pouvoir. Ils comptent sur la principale rivale de «Bongbong» Marcos, Leni Robredo, pour prendre la tête de l’opposition.
Aux Philippines, après la victoire du fils de l'ancien dictateur, beaucoup craignent le retour du clan au pouvoir. (Ted Aljibe/AFP)
par Ismaël Bine, Correspondant à Manille (Philippines)
publié le 10 mai 2022 à 8h40

Sans surprise, Ferdinand «Bongbong» Marcos, candidat de la droite réactionnaire, a remporté l’élection présidentielle philippine, dont le scrutin s’est tenu lundi 9 mai. Dans une allocution mardi matin depuis son quartier général à Manille, «BBM», 64 ans, s’est abstenu de proclamer sa victoire. Il s’est contenté de remercier ses partisans pour leurs mois de «sacrifices et de travail». «Attendons que ce soit très clair, que le décompte atteigne 100 % des voix, et alors nous pourrons célébrer.» Une déclaration de la commission des élections est attendue dans la journée.

Avec plus de 97 % des 65,7 millions voix dépouillées ce mardi matin, le fils du défunt dictateur Ferdinand Marcos obtient plus de 30 millions de voix. C’est deux fois plus que sa principale rivale, la vice-présidente sortante Leni Robredo, 57 ans, représentante de la gauche sociale. Une avance impossible à rattraper.

Cette accession au pouvoir effraie des Philippins ayant vécu la dictature du père (1965-1986) durant laquelle il a fait arrêter, torturer et tuer des milliers de personnes. Beaucoup ne comprennent pas comment un retour aussi rapide du clan Marcos à la plus haute fonction de l’Etat a été possible.

«J’ai vu des gamins se faire tuer»

Depuis des mois, un cauchemar agite les nuits de Rey Baltazar G. Reyes, un homme au visage marqué par le temps et les tempes couleur cendres. Dans son rêve, il voit la face tout sourire de Marcos Junior saluant une large foule de Philippins. Il célèbre sa victoire à l’élection présidentielle. Aujourd’hui, cette vision d’horreur est devenue réalité. «Je ne sais pas s’ils se rendent compte de ce qu’ils ont fait, ils ne connaissent pas leur histoire, souffle ce retraité de 68 ans, étudiant durant la loi martiale imposée par Ferdinand Marcos. Je ne veux pas y croire.»

Pourtant, comme son fils aujourd’hui, Ferdinand Marcos avait été élu démocratiquement en 1965. Au début de son mandat, il gouverne de façon autoritaire mais lance un programme de constructions d’infrastructures et de réformes économiques. Réélu, il proclame la loi martiale pour lutter contre le communisme et endiguer la montée des violences dans le pays. Les libertés fondamentales sont abolies. Des dizaines de milliers d’opposants sont emprisonnées, d’autres sont torturés. Les morts se comptent par milliers.

Rey Baltazar, la voix rauque, raconte avoir été témoin de violences inouïes entre la police, les forces armées et les étudiants en tête des manifestations contre le régime dans les années 80 : «J’ai vu des gamins de 16 ans se faire tuer devant mes yeux, d’autres se faire molester par la police ou l’armée avant d’être balancés dans des camions et emprisonnés. Ils avaient carte blanche. Le gouvernement voulait faire croire que tous ces jeunes étaient des communistes et qu’il fallait les combattre. C’était leur façon de justifier leurs atrocités.»

La femme de Rey Baltazar, assise à ses côtés, poursuit : «Je crains aussi que nous soyons privés d’autres libertés fondamentales comme le droit d’expression ou la liberté de la presse. Il y a quarante ans, les gens n’osaient rien dire contre le régime, de peur des représailles de la part du gouvernement. Déjà que la loi antiterroriste de Rodrigo Duterte a bâillonné pas mal de monde…» Cette disposition a créé un Conseil antiterroriste dont les membres ont le pouvoir d’ordonner l’arrestation de ceux qu’ils considèrent comme terroristes, sans en donner une définition claire. Des organisations de défense des droits humains se sont opposées au texte craignant que le président populiste Duterte l’utilise pour faire taire ses détracteurs. Les Reyes craignent que cela s’empire avec Marcos Junior.

L’espoir Robredo perdure

Andrew, lui, raconte une histoire d’expropriation vécue par ses parents quand Ferdinand Marcos était au pouvoir. «C’était la fin des années 70, mon père possédait une maison sur l’avenue Ayala, l’une des artères principales de [Makati]. Un jour, les autorités sont venues, ils ont rasé la maison sans rien demander, sans prévenir. Mon père était un opposant à Ferdinand Marcos et du jour au lendemain, ma famille s’est retrouvée à la rue.»

Alors, pour garder l’espoir, tous préfèrent considérer la défaite de leur candidate, Leni Robredo, qui avait promis de débarrasser le pays de la corruption et de la mainmise des dynasties politiques, comme le début d’une nouvelle histoire. «Elle va prendre la tête de l’opposition et, s’il le faut, de la Révolution. J’en suis persuadé, c’est une battante, pense Rey Baltazar. Et puis espérons qu’elle se représente dans six ans.»

Une intuition que l’ancienne avocate et défenseure des droits humains a confirmée dans une allocution télévisée. Dans celle-ci, elle exprime sa «claire déception» face au résultat. «Rien n’est perdu, nous ne sommes pas tombés», déclare l’ancienne vice-présidente avant de promettre de poursuivre le combat contre les Marcos une fois les résultats officiellement validés, d’ici quelques semaines. «Nous ne faisons que commencer», a-t-elle prévenu.