«Libérez Aung San Suu Kyi». Ce slogan, les partisans de la Ligue nationale pour la démocratie (LND) le scandaient déjà en 2007. C’était «la révolution de safran». Depuis lundi dernier, l’histoire semble bégayer. Battus dans les urnes par la LND, les militaires refusent de voir leur échapper un pouvoir solidement ancré par des décennies de dictature : si le Parti de l’union, de la solidarité et du développement (pro-armée) a dénoncé des «fraudes», c’est bien par la force que les généraux ont mené la riposte. Les arrestations de la conseillère spéciale de l’Etat, Aung San Suu Kyi, et de centaines de ses partisans et activistes politiques n’ont pas seulement fait tomber les masques d’hypocrisie, ils ont aussi pulvérisé dix années d’efforts en faveur de la transition démocratique, fragile mue institutionnelle et politique entamée en 2010.
«Respectez notre vote. A bas la dictature.» Les défilés sont désormais quotidiens dans les rues de Naypyidaw, Rangoun, Mandalay et jusqu’à Kawthaung. Les Birmans de 2007, bonzes en tête, protestaient contre la vie chère. Les dizaines de milliers de manifestants qui bravent la police, la censure d’Internet et l’état d’urgence décrété par les militaires défendent, eux, leur droit à la démocratie. Mais pour les généraux de l’ex-junte, le combat reste le même : le pouvoir politique est le bouclier qui protège et fait prospérer leurs intérêts, économiques et très personnels. Le puissant patron de l’armée, le général Min Aung Hlaing, est ainsi à la tête des deux plus grands conglomérats du pays, qui travaillent avec des entreprises étrangères cotées en Bourse comme Suzuki, Bouygues, Total ou Lafarge. En signe de ralliement, les partisans de la LND défilent en faisant le salut à trois doigts. Il suffirait que les multinationales qui participent à l’enrichissement des militaires en lèvent un seul pour que les défenseurs de la démocratie trouvent de précieux alliés.