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Libération
Humiliation

«C’est un meurtre social» : en Corée du Sud, le rôle des médias et de la police fustigé après la mort de l’acteur de «Parasite»

La mort du comédien Lee Sun-kyun, déchu depuis des accusations de consommation de drogues en octobre et dont les funérailles se sont tenues ce vendredi 29 décembre, soulève une vague de critiques en Corée du Sud, où le climat autour de la lutte contre les substances illégales est délétère.
Une ambulance évacuant le corps de l'acteur sud-coréen Lee Sun-kyun, à Séoul, le 27 décembre 2023. (Yonhap /AFP)
publié le 29 décembre 2023 à 12h26
(mis à jour le 29 décembre 2023 à 15h14)

Un nom sali, une vie intime exposée en ligne et une carrière brisée : quel rôle les médias et la police ont-ils joué dans la mort de Lee Sun-kyun ? Le corps sans vie de l’acteur coréen de 48 ans, célèbre pour son rôle dans le film Parasite et dont les funérailles se sont tenues en privé ce vendredi 29 décembre, a été retrouvé dans sa voiture, mercredi 27 décembre à Séoul, avec une note «s’apparentant à un testament», selon l’agence de presse Yonhap. Il était visé depuis octobre par une enquête pour une consommation présumée de cannabis et d’autres psychotropes. Des soupçons graves en Corée, où la prise de drogue est fortement stigmatisée et ravage des réputations. Depuis sa mort, une vague de critiques accuse les journalistes et les enquêteurs d’avoir alimenté un climat délétère.

«Il n’est pas mort à cause de la drogue, il est mort à cause de l’humiliation que d’autres lui ont infligée», regrette avec amertume un internaute dans un commentaire repéré par la BBC. Sur YouTube, un autre s’agace : «Les sanctions pour diffamation dans ce pays sont extrêmement faibles. J’espère que tous les gens qui ont écrit des articles avec négligence et les ont diffusés sans aucune base précise réfléchiront sur eux-mêmes.» Lee Sun-kyun, soupçonné d’avoir pris des substances illégales chez une hôtesse d’un bar fastueux de la capitale Séoul, avait nié avoir consommé en connaissance de cause ces produits. Le comédien a assuré avoir été «piégé» par cette femme, contre laquelle il avait déposé plainte pour chantage et extorsion d’argent, selon Yonhap. Lee Sun-kyun avait récemment passé deux tests de détection de drogues. Ils sont revenus négatifs, a précisé l’agence de presse sud-coréenne.

Toujours est-il qu’entre ces allégations et les révélations concernant sa fréquentation d’escortes, l’image de ce père de famille était ternie. Dans un pays très strict en matière de lutte antidrogue et dans lequel l’adultère était un crime jusqu’en 2015, le comédien s’est vu privé de contrats publicitaires et d’apparitions à la télévision et au cinéma, pour un manque à gagner évalué à dix milliards de wons (7 millions d’euros) par la presse sud-coréenne. «Je m’excuse sincèrement d’avoir causé une grande déception à de nombreuses personnes en étant impliqué dans un incident aussi désagréable. Je suis désolé pour ma famille, qui endure une douleur si difficile en ce moment», avait-il déclaré aux journalistes début octobre.

«Immense humiliation»

Des experts déplorent depuis l’absence de présomption d’innocence qui a engendré un climat malsain, à travers la couverture sensationnaliste de l’affaire alimentée par la diffusion d’éléments de l’enquête. La police est soupçonnée d’être à l’origine de la fuite de pièces confidentielles, comme des extraits audio de conversations téléphoniques privées, notamment avec l’escorte impliquée. En plus de la pression médiatique, Lee Sun-kyun devait se plier aux interrogatoires des forces de l’ordre : le dernier d’entre eux, quelques jours avant sa mort, avait duré dix-neuf heures.

«Il n’y avait pas le besoin de nommer le suspect dans cette enquête», a estimé le professeur d’études coréennes à l’université d’Oslo Vladimir Tikhonov. Et d’expliquer : «En Corée du Sud, à un niveau bien plus élevé que dans n’importe quel pays européen qui tolère mieux l’usage de psychotropes, être suspecté dans une affaire de drogues équivaut à une sanction en soi, avec l’ostracisme du public.» C’est un «meurtre social», a fustigé le professeur de communication à l’université Sogang de Séoul Yu Hyun-jae, qui a pointé du doigt la responsabilité partagée des médias, de la police et du public dans l’«immense humiliation» que l’acteur a endurée.

Le chef de la police d’Incheon, qui a conduit l’enquête, a défendu jeudi ses équipes. Selon Kim Hui-jung, les investigations ont été réalisées «en accord avec les procédures légales». Il a également démenti toute fuite d’informations à la presse.

Drogues, stars et chirurgie esthétique

L’annonce de la mort soudaine de la star a suscité une vive émotion à travers le pays. Une cérémonie privée dans un hôpital de Séoul a réuni ce vendredi sa femme, l’actrice Jeon Hye-jin, et leurs deux garçons, ainsi que d’autres noms du cinéma coréen. Le réalisateur de Parasite, Bong Joon-ho, s’était rendu jeudi au funérarium, devant lequel des fans en deuil ont déposé des messages de recueillement : «Les œuvres que vous avez créées avec vos efforts et votre sincérité ont sauvé tellement de personnes.» «Nous sommes désolés de n’avoir rien pu faire pour vous quand vous traversiez une période difficile», pouvait-on lire sur ces mots. Plusieurs événements en lien avec les divertissements en Corée du Sud ont été annulés pour respecter la mémoire du comédien.

Face aux drogues, le pays a adopté une politique de «tolérance zéro», l’actuel président Yoon Suk-yeol ayant déclaré la «guerre» aux substances illégales à son arrivée au pouvoir l’an dernier. Les différents scandales liés aux drogues et aux personnalités du monde du spectacle ont pour théâtre le quartier branché de Gangnam, où les appartements de luxe font face aux boîtes de nuit et aux cliniques de chirurgie esthétique. La police a d’ailleurs annoncé ce vendredi qu’elle avait déféré au parquet un chirurgien esthétique exerçant dans le quartier, actuellement détenu pour avoir prétendument fourni des drogues à l’hôtesse de bar impliquée dans l’affaire concernant Lee Sun-kyun.

La kétamine, l’une des drogues que l’acteur aurait consommées, a été mise en cause dans plusieurs affaires médiatiques du pays. A l’image du scandale de la discothèque «Burning Sun» à Gangnam, tenue par une star de K-Pop condamnée à de la prison pour avoir notamment proposé des femmes en vue de relations sexuelles à de potentiels investisseurs. Ou de l’enlèvement et le meurtre d’une femme organisés sur fond de krach du marché des cryptomonnaies et de kétamine. Le meurtrier – condamné à la prison à perpétuité – avait utilisé la kétamine comme arme du crime et se l’était procurée via sa femme, infirmière dans une clinique de chirurgie plastique.