
Reportage
«Cinquante ans après, ça sent encore l’enfer ici» : au Cambodge sur les traces du génocide khmer rouge, entre mémoire douloureuse et fantômes du passé
Il leur suffit d’un rien. La fumée d’une cigarette, un morceau de manioc ou bien l’air glacé d’une climatisation trop froide. Alors ils replongent. Ils reviennent aux années de terreur khmère rouge quand ils étaient enfants, adolescents ou jeunes adultes. Ils n’ont rien oublié. Cinquante ans après la prise du pouvoir par les hommes de Pol Pot, le 17 avril 1975, les souvenirs restent à vif. Ils hantent toujours les nuits de ces survivants, dont certains vivent encore avec des fantômes. Ils s’invitent dans un présent hypothéqué par la souffrance et la mort d’environ deux millions de Cambodgiens entre 1975 et 1979.
Chez Arn Chorn-Pond, ce sont les mouches qui le ramènent à ce funeste printemps. Ce matin, il les chasse de la main, avec sa casquette pour ne plus les voir, ni sentir leur présence obsédante. «Je les déteste. Il y en avait sur les corps jetés dans les champs alentour, la jungle, sur les malades et les mourants. Elles tournaient autour de nous, dans cet air qui puait la merde et le sang. Vous savez, ça sent encore l’enfer ici.» Nous sommes à la pagode Wat Ek Phnom, à une quinzaine de kilomètres au nord de Battambang, la grande ville de l’ouest cambodgien établie sur la rivière Sangker. Entouré de champs et d’étangs, de tamariniers et de manguiers, le temple est en retrait de la route de la poussière qui s’é