La tension monte encore d’un cran au Bangladesh. Après des semaines de protestations étudiantes, la police antiémeute a tiré ce samedi 20 juillet à balles réelles sur des manifestants à Dacca, la capitale. L’armée, elle, était largement déployée dans plusieurs villes du pays, au lendemain d’une nouvelle journée d’affrontements meurtriers.
Depuis le 1er juillet, des milliers d’étudiants sont dans les rues pour exiger la fin des quotas d’embauche dans la fonction publique, qu’ils jugent discriminatoires. Mais le mouvement, au départ pacifique, s’est transformé ces derniers jours en une série de heurts entre les manifestants d’un côté, et les forces de l’ordre ou des partisans du parti au pouvoir de l’autre. Au total, au moins 115 personnes seraient mortes cette semaine, selon un décompte de l’AFP établi à partir de sources policières et hospitalières.
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D’après les descriptions fournies par le personnel hospitalier, les tirs de la police sont à l’origine de plus de la moitié des décès signalés. «L’augmentation du nombre de morts est une preuve choquante de l’intolérance absolue dont font preuve les autorités bangladaises à l’égard des protestations et de la dissidence», a dénoncé Babu Ram Pant, responsable de la campagne régionale pour l’Asie du Sud à Amnesty International, dans un communiqué publié vendredi.
Une escalade de la violence
Ce samedi encore, au moins une personne aurait été blessée parmi les milliers de manifestants rassemblés dans le quartier de Rampura, à Dacca, pour protester contre le couvre-feu gouvernemental imposé la veille. Une mesure entrée en vigueur à minuit dans la nuit de vendredi à samedi, et qui devrait se maintenir au moins jusqu’à 10 heures (6 heures, heure de Paris) dimanche, a fait savoir la chaîne privée bangladaise Channel 24.
Ce n’est pas l’unique décision qui a été prise pour tenter de maîtriser la situation. Le bureau de la Première ministre a également demandé à l’armée de déployer des troupes à travers le pays, alors que la police ne parvient pas à contrôler les «troubles». Vendredi, «des centaines de milliers de personnes» ont affronté les forces de l’ordre dans la capitale, a affirmé le porte-parole de la police, Faruk Hossain. «Au moins 150 policiers ont été admis à l’hôpital. Cent cinquante autres ont reçu les premiers soins», a-t-il ajouté, précisant que deux officiers avaient été battus à mort. Toujours selon la même source, les manifestants auraient également «incendié de nombreuses guérites de police» et «de nombreux bureaux gouvernementaux ont été incendiés et vandalisés».
Selon un haut responsable de la police à Rangpur, des milliers de personnes ont aussi assiégé une base de la police dans cette ville dans le nord du pays dans la nuit de vendredi à samedi, et trois manifestants ont été tués. De son côté, un porte-parole de Students Against Discrimination – le principal groupe organisateur des manifestations – a annoncé que deux de ses dirigeants avaient été arrêtés depuis vendredi. Un haut responsable du Parti nationaliste du Bangladesh (BNP), la principale formation d’opposition, a également été interpellé ce samedi matin, a fait savoir le porte-parole du parti, Sairul Islam Khan.
La Première ministre appelée à quitter ses fonctions
Face à l’escalade de la violence, la Première ministre Sheikh Hasina, au pouvoir depuis 15 ans, a décidé d’annuler ses déplacements à l’étranger. La «dame de fer» devait quitter le pays dimanche pour une tournée diplomatique, notamment en Espagne et au Brésil.
Depuis le début du mouvement, la Première ministre est au cœur des tensions. D’après les manifestants, le système qui régit les quotas d’embauche dans la fonction publique favorise largement ses partisans et les proches du pouvoir. Il réserve notamment 30 % des emplois de fonctionnaires aux enfants de ceux qui se sont battus pour obtenir l’indépendance du pays, en 1971. Une indépendance proclamée par le leader Sheikh Mujibur Rahman, qui n’est autre que le père de Sheikh Hasina.
Reportage
A la tête du pays depuis 2009, la dirigeante de 76 ans et son gouvernement sont accusés par des groupes de défense des droits de l’homme d’utiliser abusivement les institutions de l’Etat pour asseoir leur emprise sur le pouvoir et éradiquer la dissidence, notamment par l’assassinat extrajudiciaire de militants de l’opposition. Depuis les premiers décès survenus mardi, les manifestants ont commencé à exiger que Sheikh Hasina – qui a remporté sa quatrième élection consécutive en janvier après un vote sans véritable opposition – quitte ses fonctions.
Mais face à la montée de la colère, le pouvoir continue de réprimer les manifestants. Jeudi, les autorités ont imposé une coupure nationale d’internet, qui est encore en vigueur ce samedi. Les sites web du gouvernement restent eux aussi inaccessibles et les principaux journaux, dont le Dhaka Tribune et le Daily Star, n’ont pas pu mettre à jour leurs comptes sur les réseaux sociaux depuis jeudi.