«J’ai un peu pleuré.» Juste après l’annonce de l’échec de la motion de destitution contre le président sud-coréen Yoon Suk-yeol, Lee In-hye se montre dépitée, mais aussi «en colère». Comme l’étudiante de 22 ans, ils sont encore des centaines ce samedi 7 décembre dans la nuit à se masser devant les grilles de l’Assemblée nationale, exigeant le départ du chef de l’État. Équipés de bâtons lumineux – une tradition pour les fans de K-pop – ou de pancartes anti-Yoon, ils avaient pendant toute la journée bravé le froid glacial frappant Séoul. Près de 150 000 personnes s’étaient rassemblées ce samedi, espérant le prompt règlement d’une crise politique entamée par la déclaration de la loi martiale mardi par le Président.
Plus tôt, le bâtiment principal du Parlement sud-coréen, où l’on peut encore apercevoir les stigmates de la tentative d’intrusion mardi soir de l’armée, avec des portes enfoncées et des vitres brisées, était en totale effervescence. Les membres des équipes parlementaires de l’opposition arboraient les mêmes pancartes que les manifestants réunis dehors. Autour de 17 heures, des cris «Yoon Suk-yeol destitution» retentissaient dans le hall, au moment où les députés pénétraient dans l’hémicycle, pour se prononcer dans un premier temps sur une proposition de loi pour lancer une enquête spéciale visant la Première dame Kim Keon-hee, accusée de corruption et d’ingérence électorale. Ce scrutin était en réalité une manœuvre politique de la gauche, qui y voyait un moyen de forcer le parti présidentiel à assister à la session parlementaire, dans l’espoir que certains membres défient la ligne officielle de leur formation et votent en faveur de la destitution du chef de l’Etat.
Profil
Mais l’échec du premier vote puis le boycott du second par les députés du parti présidentiel (le Parti du pouvoir du peuple, ou PPP), ont fait dérailler les plans de l’opposition. Alors que les députés du PPP quittaient leurs sièges, des assistants parlementaires se massaient près des sorties en leur criant «allez voter» ou «retournez-y». Seuls trois d’entre eux ont finalement décidé de contredire les consignes et de participer au vote, chaque défection étant accueillie par les acclamations des personnes massées dans les couloirs. Après une suspension de séance par le président de l’Assemblée nationale, Woo Won-shik, qui espérait convaincre de nouveaux dissidents, la motion de destitution a finalement été annulée, faute d’avoir atteint le seuil de 200 votes nécessaires (sur 300 députés). «C’est très regrettable qu’il n’y ait même pas eu de vote», a déploré Woo dans son discours clôturant la séance.
Yoon sauvé par son parti
Alors que son sort semblait scellé après les déclarations vendredi du leader de son propre parti, Han Dong-hoon, jugeant qu’il était nécessaire de le «suspendre rapidement», le président Yoon Suk-yeol va donc conserver son poste. Sauvé par les députés de son parti conservateur, qui ont sans doute estimé que voter cette motion de destitution samedi leur aurait assuré des défaites électorales à l’avenir. En 2017, deux mois après l’impeachment de la présidente Park Geun-hye, validé avec le soutien de parlementaires de sa famille politique, le candidat de gauche Moon Jae-in avait largement remporté l’élection présidentielle. Une victoire confirmée lors des législatives trois ans plus tard.
Vu de Séoul
Ce samedi matin, les excuses de Yoon Suk-yeol, expédiée dans une allocution d’à peine deux minutes, donnaient une indication sur la stratégie du PPP : le Président reste, si possible jusqu’au bout de son mandat en 2027, mais le parti reprend la main et tente de prendre ses distances avec cette figure extrêmement impopulaire. Mais la droite sud-coréenne parviendra-t-elle à se tirer d’affaire avec cette manœuvre ? Les événements de mardi semblent avoir profondément affecté la population. De nombreux manifestants rencontrés par Libération au cours de cette semaine sous tension ont témoigné de leur peur d’un retour de la dictature et d’un président jugé irrationnel.
«Je suis très nerveux, il pourrait trouver un nouveau prétexte pour déclarer une loi martiale», spéculait vendredi Kim Seong-min, lycéen de 18 ans, devant l’Assemblée. D’autres, comme Chang-hoon, sont restés toute la nuit avant le vote pour «empêcher une nouvelle tentative de coup d’Etat». Originaire de Gwangju, ville du sud-ouest de la péninsule marquée à vif par des répressions meurtrières en 1980, le jeune homme de 32 ans craignait que le président ne choisisse la force pour empêcher une destitution. «Des rumeurs circulent sur la possibilité d’une nouvelle loi martiale. Je tiens à être absolument clair : de telles mesures ne se reproduiront pas», a balayé dans son allocution de samedi matin le président Yoon Suk-yeol, pour sa première prise de parole depuis mercredi et l’annonce de la levée de l’état d’exception.
Reportage
«Une question de temps»
«Si la motion ne passe pas, de plus en plus de citoyens coréens viendront protester», prédisait dans l’après-midi Kim Ji-soo, ex-candidat à la présidence du Parti démocrate. Sa formation compte sur le mécontentement populaire pour faire plier les députés réticents à déposer le chef de l’Etat. «Ils ont tenté de garder leur pouvoir, ils n’ont pas écouté le peuple coréen», s’attriste Joo-hyun, 47 ans, qui compte revenir aux futures manifestations. «Je ne sais pas si Yoon finira par partir, mais nous voulons leur faire savoir notre opinion et notre tristesse», affirme-t-elle.
«Ce n’est qu’une question de temps», juge Kim Jung-hyun, attaché parlementaire auprès du député démocrate Kim Kyo-heung, rappelant que le processus de destitution de Park Geun-hye avait pris des mois entre 2016 et 2017. Après l’échec de samedi, le Parti démocrate doit se résoudre à soumettre à nouveau au vote une motion de destitution, qui n’interviendra que mercredi 11 décembre au plus tôt. Avec l’espoir, selon Kim Jung-hyun, que «la honte» de voir leur nom associé à celui de l’homme qui a déclaré la loi martiale et envoyé des hélicoptères à l’Assemblée fasse basculer suffisamment d’élus de leur côté.