Etait-ce un acte délibéré ou une erreur humaine ? Alors qu’aucune anomalie n’a été détectée sur les interrupteurs d’alimentation en carburant des Boeing 787 d’Air India, mis en cause après le crash qui a fait 260 morts et 1 miraculé le 12 juin en Inde, une enquête du Wall Street Journal concentre ce jeudi 17 juillet les soupçons sur le commandant de bord de l’appareil.
Dans un rapport préliminaire, le Bureau indien d’enquête sur les accidents aériens (AAIB) avait affirmé samedi que l’alimentation en kérosène des deux réacteurs de l’appareil avait été interrompue juste après son décollage d’Ahmedabad, dans le nord-ouest du pays. De quoi causer une brusque perte de puissance des moteurs de l’avion, qui est tombé sur des bâtiments proches de l’aéroport de la ville, dans le nord-ouest du pays.
L’enregistreur des conversations du cockpit a révélé que l’un des pilotes avait demandé à l’autre «pourquoi il a coupé l’alimentation en carburant» et que ce dernier avait répondu qu’il ne l’avait «pas fait». Contrairement au document de l’AAIB, qui n’a néanmoins tiré aucune conclusion ni pointé aucune responsabilité, le Wall Street Journal attribue ce jeudi 17 juillet au commandant de bord la coupure des deux interrupteurs d’alimentation en kérosène, citant des sources proches du dossier. «Le copilote a exprimé sa surprise et a ensuite paniqué, alors que le commandant est resté calme», écrit le quotidien américain dans son enquête, précisant bien que le rapport n’avait pas déterminé si l’action sur les interrupteurs avait été délibérée ou accidentelle. Le Wall Street Journal explique bien que le rapport préliminaire de l’enquête résumait cet échange, mais n’identifiait pas qui avait dit quoi.
Siège 11A
D’après des pilotes américains, qui ont lu le rapport des autorités indiennes, le copilote Clive Kunder, qui était aux manettes, avait probablement les mains occupées à tirer sur les commandes de l’avion à ce stade du vol. Sumeet Sabharwal, en tant que pilote de surveillance, devait probablement avoir les mains libres pour superviser l’opération. Selon le rapport, les commutateurs ont été actionnés successivement, à une seconde d’intervalle. Environ dix secondes plus tard, les deux commutateurs ont été remis en position initiale. Ces données suggèrent un acte délibéré.
Selon l’enquête du média américain, ce serait donc le commandant de bord, Sumeet Sabharwal, un pilote chevronné avec plusieurs décennies d’expérience qui aurait potentiellement actionné les interrupteurs. Le copilote Clive Kunder, âgé d’une trentaine d’années, était impatient de passer à l’étape suivante de sa carrière, selon son entourage.
«Irresponsable»
Le Bureau indien d’enquête a aussitôt réagi à la thèse avancée par le Wall Street Journal, la qualifiant d’«irresponsable» et basée sur des «éléments tronqués et non vérifiés», relate le Times of India. Des experts indiens avaient déjà vivement critiqué le rapport de l’AAIB, qui pourtant ne se mouillait pas, arguant que seules quelques phrases échangées par les pilotes avaient été dévoilées. Et de renvoyer la responsabilité du côté de l’américain Boeing. «De nombreux aviateurs expérimentés en Inde affirment que le rapport préliminaire semble, comme on pouvait s’y attendre, protéger le fabricant d’origine (Boeing en l’occurrence), tout en rejetant la faute sur un pilote qui n’est plus là pour se défendre», explique le Times of India.
Dans la foulée du rapport, la Direction générale de l’aviation civile (DGCA) indienne a pour sa part ordonné de vérifier ces dispositifs sur plusieurs types de Boeing, dont les 787, immatriculés en Inde. «Nos ingénieurs ont conduit ce week-end des vérifications sur les systèmes de verrouillage de ces interrupteurs sur tous nos Boeing 787», précise une note interne d’Air India à ses pilotes. «Ces inspections sont terminées et n’ont révélé aucun problème particulier», poursuit le document. D’autres pays ont ordonné les mêmes mesures de contrôle à leurs compagnies équipées de Boeing 787 Dreamliner, notamment Singapour, sans détecter pour l’heure la moindre anomalie.
L’Administration fédérale de l’aviation (FAA) américaine avait, elle, publié en 2018 une note d’information sur «le désengagement potentiel de la fonction de verrouillage de l’interrupteur de contrôle du carburant» sur certains modèles fabriqués par Boeing, dont le 787. Air India a fait savoir à l’AAIB qu’elle n’avait alors pas procédé à une inspection car cette mesure n’était que «conseillée et non obligatoire».
Ce jeudi soir, l’AAIB a répété qu’il était encore «trop tôt pour tirer la moindre conclusion définitive» sur les causes de la catastrophe du vol 171. «Nous exhortons le public et les médias à s’abstenir de diffuser des informations prématurées qui pourraient perturber l’intégrité des investigations», a-t-il ajouté dans un communiqué. Dans une lettre à ses employés lundi, le PDG de la compagnie, Campbell Wilson, a lui aussi mis en garde contre «toute conclusion prématurée».