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Dans les Tuvalu, plus de 80 % des habitants ont candidaté pour le visa climatique australien

D’après les chiffres officiels publiés ce mercredi 23 juillet, l’immense majorité des citoyens de cet archipel du Pacifique menacé par la montée du niveau des océans cherche à obtenir le précieux sésame pour l’Australie. Seuls 280 seront sélectionnés cette année.
A Vaiaku, sur l'atoll de Funafuti, un territoire de 2,8 kilomètres carrés où vit près de la moitié des 11 500 habitants de Tuvalu, en février 2004. (Torsten Blackwood/AFP)
publié le 23 juillet 2025 à 12h55

D’ici quarante ans, les Tuvalu pourraient être vidés de leurs habitants, poussés sur le départ par la montée des eaux liée au réchauffement climatique. D’après les chiffres officiels rendus publics ce mercredi 23 juillet, plus de 80 % des Tuvaluans ont candidaté pour obtenir un visa climatique australien, dont la première campagne de demandes s’est tenue entre le 16 juin et le 18 juillet. Dans le détail, 8 750 d’entre eux se sont inscrits pour le premier lot de visas, a précisé le haut-commissariat australien, soit 82 % des 10 643 habitants recensés dans l’archipel en 2022.

Aucun avenir

«Aux Tuvalu, le climat a beaucoup changé, avec des marées exceptionnelles, des rues inondées et une érosion omniprésente», raconte Frayzel Uale, 18 ans, dans les colonnes du Sydney Morning Herald. Le jeune homme, qui vit depuis quatre ans en Australie avec sa mère, à Melbourne, ne possède pour le moment qu’un visa étudiant. Il a candidaté pour le fameux visa climatique. Bien qu’il se souvienne de son pays natal comme d’un endroit «paisible et joyeux» avec lequel il se sent toujours lié culturellement, il n’y voit aucun avenir. «Il y a plus d’opportunités ici», souligne-t-il, espérant faire partie des 280 sélectionnés par tirage au sort, à partir du 25 juillet.

Intitulé «Traité de l’Union Falepili», l’accord bilatéral entre les Tuvalu et l’Australie signé en 2024 permet aux résidents insulaires «de vivre, travailler et étudier partout en Australie, indéfiniment». «Nous avons reçu des niveaux extrêmement élevés d’intérêt», a déclaré dans un communiqué la mission diplomatique de l’Australie à Tuvalu. «Avec 280 visas offerts cette année pour ce programme, cela signifie que de nombreuses personnes ne pourront pas en bénéficier», a cependant indiqué le Haut-Commissariat australien.

Atolls disparus

Surnommées les «sinking islands», «les îles qui sombrent», les Tuvalu subissent de plein fouet l’augmentation des températures mondiales due aux émissions humaines de gaz à effet de serre. Deux des neuf atolls de l’archipel polynésien, dont le point culminant se situe à un peu plus de 4 mètres au-dessus du niveau de la mer, ont déjà disparu.

«La montée des eaux érode déjà notre terre et nos plus petites îles disparaissent, submergées. L’eau salée, qui s’infiltre dans les plantations et les cultures, les détruit. C’est une situation catastrophique pour nous», racontait à Libération le ministre tuvaluan des Finances et du Changement climatique, Seve Paeniu, lors de la COP28 à Dubaï, fin 2023. L’urgence est telle que les scientifiques craignent que l’archipel devienne inhabitable d’ici à quatre-vingts ans.

Dans une édition 2021 du rapport Groundswell, la Banque mondiale avertit que le changement climatique constitue un facteur de migration de plus en plus puissant qui pourrait contraindre, d’ici à 2050, 216 millions de personnes dans le monde à migrer à l’intérieur de leur pays, principalement en Afrique subsaharienne et en Asie de l’Est et Pacifique.

Influence chinoise

Dans une autre mesure, l’«Union Falepili» engage l’Australie à défendre Tuvalu face aux catastrophes naturelles, aux pandémies sanitaires ou à une éventuelle «agression militaire». L’accord offre en contrepartie à l’Australie un droit de regard sur tous les pactes de défense que les Tuvalu pourraient conclure avec d’autres pays.

L’objectif de ce traité, pour Canberra, est également de freiner l’influence chinoise dans la région. Les Tuvalu font en effet partie des 12 pays à travers le monde qui reconnaissent officiellement Taiwan. Le Premier ministre australien, Anthony Albanese, a déclaré l’année dernière que son pays partageait la vision d’une «région pacifique, stable, prospère et unifiée».

Mais cet accord entraîne également d’autres craintes. Faaimata (Mata) Havea Hiliau, originaire de Tonga et célèbre religieuse en Australie, n’est pas surprise par la demande massive de ces visas. «Leurs terres ont été emportées par les eaux, souligne-t-elle au Sydney Morning Herald. Ils sont désespérés.» Et de s’inquiéter du bien-être des insulaires une fois arrivés en Australie. Et ce, en particulier s’ils sont relogés à l’intérieur des terres, loin de leur lien culturel avec l’océan, voire contraints de faire face à des logements inabordables en périphérie des grandes villes du pays. D’autant que l’Australie n’échappe pas non plus au réchauffement climatique, à la hausse des températures, à la sécheresse.