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Libération
Pas vu pas pris

En Chine, pour cacher le taux de chômage des jeunes qui s’envole, on ne publie plus les chiffres

Lors de la publication mensuelle par Pékin des chiffres du chômage ce mardi 15 août, celui des 16-24 ans a tout simplement disparu. En juin, ils avaient atteint un niveau record et préoccupant.
Dans un forum pour l'emploi à Wuhan, jeudi. (AFP)
publié le 15 août 2023 à 9h51

Pas de chiffres, pas de chômeurs. Pas de chômeurs, pas de chômage. Pas de chômage… pas de chômage. Voilà l’équation pensée par la Chine pour éviter la gêne ressentie après la publication de chiffres du chômage trop élevée chez les jeunes. Ce mardi 15 août, Pékin a tout simplement décidé de suspendre leur publication mensuelle. Une mesure drastique et bien pratique dans un régime peu connu pour sa transparence.

En juillet, le taux de chômage pour l’ensemble de la population active a ainsi légèrement augmenté par rapport à juin pour atteindre 5,3 %. Quant à celui des jeunes, impossible de le savoir après la nouvelle censure de chinoise. En juin, ils avaient atteint un niveau record : 21,3 % des 16-24 ans étaient sans emploi. «La publication du taux de chômage des jeunes est suspendue», a sobrement déclaré devant la presse un porte-parole du Bureau national des statistiques (BNS), Fu Linghui, justifiant cette décision par la nécessité «d’ajuster» les données sur l’emploi.

«Si on cesse sa publication, il n’y aura plus de chômage et le problème sera réglé», commentait sarcastiquement un internaute sur le réseau social Weibo, au diapason d’autres messages. En Chine, le taux de chômage est calculé pour les seules zones urbaines et ne dresse par conséquent qu’un tableau partiel de la situation.

Mauvaise passe financière

Les chiffres catastrophiques accentuent la pression pour un vaste plan de relance dans la deuxième économie mondiale, où l’état de santé du gigantesque secteur immobilier préoccupe les marchés. L’activité est pénalisée par les déboires de plusieurs promoteurs au surendettement astronomique, par la confiance en berne des consommateurs et le ralentissement économique mondial, qui pèse sur la demande en biens chinois et donc sur l’activité.

Pour soutenir la croissance, la banque centrale chinoise a abaissé mardi un taux de référence pour les prêts à moyen terme, une mesure qui permet de réduire les coûts de financement des banques commerciales pour les encourager à accorder davantage de crédits et à des conditions plus favorables. Le taux d’intérêt pour les prêts à un an de la banque centrale aux établissements financiers (MLF) passe ainsi à 2,65 % contre 2,75 % auparavant. Il avait déjà été abaissé en juin. «Cette baisse aura un effet limité», prévient l’analyste Ting Lu, de la banque Nomura, arguant que pour l’économie chinoise le «pire reste à venir».

Dans ce contexte, les ventes au détail, principal indicateur de la consommation des ménages, ont seulement progressé de 2,5 % sur un an le mois dernier, selon des chiffres officiels du BNS. Des analystes sondés par l’agence Bloomberg s’attendaient à une accélération (3,6 %), après une augmentation de 3,1 % en juin de cet indice très suivi par les marchés.

Ce niveau reste très loin de celui d’avril (+18,4 %) lorsque les ventes au détail avaient réalisé leur plus forte progression de l’année, galvanisées alors par la reprise post-Covid et le retour des Chinois dans les restaurants, lieux touristiques et centres commerciaux. Signe désormais d’un essoufflement de la reprise, les prêts aux ménages ont atteint le mois dernier leur niveau le plus faible depuis 2009, selon des chiffres publiés vendredi.

Le marché immobilier tangue

La production industrielle a également ralenti en juillet (+3,7 % sur un an), après 4,4 % un mois plus tôt. Les analystes anticipaient un tassement mais plus modéré (4 %). Pour sa part, l’investissement en capital fixe s’est de nouveau tassé à +3,4 % sur un an sur les sept premiers mois de l’année. C’est son rythme de croissance le plus faible depuis 2020.

Cet indicateur est le reflet des dépenses consacrées à l’immobilier, aux infrastructures, aux équipements ou encore aux machines, des secteurs sur lesquels le gouvernement s’est appuyé dans le passé pour stimuler l’activité. Les mauvais chiffres de ce mardi sont publiés au moment où les marchés scrutent le secteur immobilier, qui avec celui de la construction a longtemps représenté le quart du PIB de la Chine.

L’un des plus gros promoteurs du pays longtemps réputé solide, Country Garden, a été incapable la semaine dernière de s’acquitter de deux remboursements d’intérêts sur des emprunts et risque un défaut de paiement. Ces déboires font désormais craindre une contagion. Lundi, le promoteur public Sino Ocean a annoncé avoir fait défaut sur le remboursement d’un intérêt.