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Libération
Reportage

En Corée du Sud, la droite en voie de trumpisation accélérée

Devant la résidence du président déchu Yoon Suk-yeol, ses partisans les plus radicaux continuent de le soutenir. Ils évoquent des élections législatives truquées et arborent des pancartes reprenant des slogans de la droite trumpiste.
Devant la présidence du président déchu Yoon Suk-yeol, samedi 4 janvier à Séoul. (Tyrone Siu/Reuters)
par Arthur Laffargue, correspondant à Séoul
publié le 4 janvier 2025 à 11h14

«L’opposition est du côté de la Chine, de la Corée du Nord et même de la Russie, mais la Corée du Sud est fermement alliée aux États-Unis», clame cette supportrice du président déchu Yoon Suk-yeol, drapeaux américain et sud-coréen à la main. Refusant de donner son nom, elle n’hésite pas à s’épancher sur les raisons de son soutien au chef de l’État sud-coréen, destitué par un vote de l’Assemblée nationale le 14 décembre dernier. «Le président Yoon avait le droit de déclarer la loi martiale, mais le parti démocrate a déformé la réalité et a abusé de la loi.»

Ce samedi 4 janvier, la femme d’une cinquantaine d’années est présente aux abords de la résidence présidentielle, à Séoul. Comme de nombreux manifestants, elle arbore une pancarte «Stop the steal», («Arrêtez le vol») en anglais dans le texte, dans une référence explicite aux partisans de Donald Trump qui refusaient de reconnaître le résultat de l’élection présidentielle 2020.

La scène intervient au lendemain d’un nouvel épisode de cette crise politique à rebondissements. Vendredi matin, les fonctionnaires du Bureau d’enquête sur la corruption des hauts fonctionnaires (CIO) venaient exécuter un mandat d’arrêt pour «rébellion» et «abus de pouvoir» émis à l’encontre de Yoon. Mais ils se sont heurtés à la résistance des agents du service de la sécurité présidentielle et ont fini par rentrer bredouille au bout de plus de cinq heures de confrontation.

Bilan de cette journée surréaliste : le président destitué, lui-même ancien procureur, a refusé de se soumettre à un mandat d’arrêt légalement émis par la justice sud-coréenne. Dans ce volet judiciaire, distinct de l’examen de la validité de la destitution par la Cour constitutionnelle, la suite reste imprévisible. «S’il est arrêté, il faudra faire de nouvelles manifestations», promet Sung Young-jin, 50 ans. «Les médias et la plupart des gens sont tous pour arrêter le président, mais nous avons voté pour lui et il a été élu», affirme le résident du Gyeongsang du Nord, une province méridionale très conservatrice.

Des voix dissidentes étouffées

Le président par intérim Choi Sang-mok, qui gère les affaires de l’État depuis à peine plus d’une semaine, n’a pour l’instant pas officiellement pris position sur la question. Un silence qui lui permet de ne pas dévier de la ligne du parti présidentiel (PPP). Depuis la destitution du 14 décembre, le PPP a étouffé les voix dissidentes et tente de présenter un front uni au risque d’être associé à la figure impopulaire de Yoon, qui s’est définitivement aliéné l’électorat modéré en envoyant des hélicoptères de l’armée se poser sur la pelouse du Parlement le 3 décembre dernier.

«La loi martiale était juste parce qu’elle permettait de se débarrasser des forces anti-coréennes», assène M. Cheong, qui n’a pas voulu donner son prénom, reprenant l’argumentaire de Yoon Suk-yeol. Le retraité de 62 ans représente cette frange radicale des conservateurs sud-coréens, souvent âgés et pour qui le parti démocrate et son leader Lee Jae-myung incarnent une menace bien trop rouge pour être autorisée.

«Fraudes électorales»

Les manifestants rencontrés samedi évoquent unanimement l’élection législative d’avril dernier, qui a selon eux été «truquée». De quoi justifier l’envoi d’une centaine de soldats dans les bureaux de la commission électorale nationale le soir de la loi martiale. Prenant des accents complotistes, Cho Moon-ho, 64 ans, assure avoir vu des «papiers étranges» le soir du scrutin dans son bureau de vote local, sans apporter de preuves concrètes. Sa pancarte «Stop the Steal» est assortie d’un dessin représentant deux mains glissant un bulletin dans l’urne, la droite peinte aux couleurs de la Chine et la gauche avec celles de la Corée du Nord. «Je ne soutenais pas le président Yoon plus que ça, mais la situation actuelle m’a fait venir ici, témoigne Kim Jae-min, 36 ans. Je pense que les gens se concentrent trop sur la loi martiale mais ils oublient pourquoi elle a été déclarée, c’est-à-dire les fraudes électorales.»

Bien avant l’épisode de la loi martiale, cette minorité très sonore organisait régulièrement de larges rassemblements en plein cœur de Séoul, notamment sous la houlette du pasteur Jeon Kwang-hoon. Samedi 28 décembre encore, le fondateur de l’Eglise presbytérienne Sarang Jeil haranguait des dizaines de milliers d’adeptes lors d’une contre-manifestation contrastant avec l’océan de bâtons lumineux brandis par les manifestants pro-destitution, quelques centaines de mètres plus loin. Depuis un peu plus d’un mois, les électeurs les plus conservateurs ont adopté un nouveau combat : protéger à tout prix leur président. Ce dernier les a remerciés dans une lettre dévoilée le 1er janvier par les médias sud-coréens, dans laquelle il indique vouloir se battre «jusqu’au bout». Une formulation vilipendée par l’opposition, qui l’interprète comme une incitation à l’affrontement.