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Libération
Virage autoritaire

Loi martiale décrétée, bloquée puis levée en Corée du Sud : ce que l’on sait de la situation instable à Séoul

Le président sud-coréen Yoon Suk Yeol a pris tout le monde de court en déclarant, ce mardi 3 décembre, la loi martiale. La mesure a été bloquée deux heures plus tard par un vote des députés dans un parlement cerné par des militaires avant d’être finalement levée par le président.
Des policiers se tiennent devant la porte du parlement, ce mardi à Séoul, après que le président sud-coréen Yoon Suk Yeol a déclaré la loi martiale. (Yonhap /Reuters)
publié le 3 décembre 2024 à 15h35
(mis à jour le 3 décembre 2024 à 21h43)

Le président sud-coréen Yoon Suk Yeol a finalement annoncé la levée de la loi martiale et le retrait de l’armée après une journée de troubles politiques. «Il y a eu une demande de l’Assemblée nationale pour lever l’état d’urgence, et nous avons procédé au retrait des militaires qui avaient été déployés pour les opérations de loi martiale», a déclaré le président Yoon Suk Yeol à la télévision. «Nous allons accéder à la requête de l’Assemblée nationale et lever la loi martiale lors d’une réunion du gouvernement», a-t-il ajouté.

Que s’est-il passé à Séoul ce mardi 3 décembre ? Vers 23 heures heure locale (15 heures à Paris), le président a décidé d’instaurer la loi martiale dans le pays, affirmant que cette mesure était nécessaire pour protéger la Corée du Sud des «forces communistes nord-coréennes». Environ deux heures plus tard, les députés sud-coréens, retranchés dans le Parlement, ont voté pour le blocage de la mesure. Avec 190 membres présents sur 300, les parlementaires ont adopté une motion demandant la levée de la loi martiale. Dans la foulée, le président de l’Assemblée nationale sud-coréenne annonçait le départ des militaires de l’armée sud-coréenne déployés aux abords du Parlement.

«Pour protéger la Corée du Sud libérale des menaces posées par les forces communistes nord-coréennes et éliminer les éléments anti-étatiques […] je déclare la loi martiale d’urgence», avait ainsi déclaré le président dans une allocution télévisée. Mais c’est moins Pyongyang que l’opposition politique sud-coréenne qui était visée. Dans son allocution, Yoon Suk Yeol a accusé l’opposition de contrôler le Parlement, de sympathiser avec la Corée du Nord et de paralyser le gouvernement. «Sans se soucier des moyens de subsistance du peuple, le parti d’opposition a paralysé le gouvernement, à des fins de destitutions, d’enquêtes spéciales et pour protéger son leader de poursuites judiciaires», assure le président Yoon Suk Yeol.

La déclaration de la loi martiale par le président Yoon s’est déroulée dans le plus grand secret, même au sein du bureau du président, rapporte le journal sud-coréen Kyunghyang Shinmun. «La plupart des hauts fonctionnaires n’étaient pas au courant de la situation», confie au média un responsable du bureau présidentiel. Libé fait le point sur ce que l’on sait de la situation à Séoul.

Comment ont réagi le parti d’opposition et le parti au pouvoir ?

Le leader de la formation d’opposition du Parti démocrate, Lee Jae-Myung, a déclaré que la promulgation de la loi martiale de Yoon est inconstitutionnelle. «À partir de ce moment, le président Yoon n’est plus le président» et «le peuple n’a pas permis au président Yoon Suk Yeol d’imposer la loi martiale», a-t-il déclaré sur sa chaîne YouTube. Il s’est ensuite adressé aux militaires. «Les armes et les épées que les soldats détiennent viennent toutes du peuple» et «le peuple est le propriétaire de ce pays, et les maîtres auxquels les soldats doivent obéir ne sont pas le président Yoon, mais le peuple.» Le chef de l’opposition a par la suite incité les Sud-Coréens à manifester. «Citoyens, venez maintenant à l’Assemblée nationale. Même s’il est tard, les citoyens doivent protéger leur pays.»

A l’unisson, le leader du parti au pouvoir en Corée du Sud, Han Dong-Hoon, a déclaré que la loi martiale était une erreur et s’est engagé à la bloquer. «La déclaration de la loi martiale par le président est erronée, nous y mettrons fin avec le peuple», a-t-il lancé. La déclaration de loi martiale du président Yoon peut en effet être levée par l’Assemblée nationale. L’article 77 de la Constitution sud-coréenne stipule que «lorsque l’Assemblée nationale demande la levée de la loi martiale avec l’approbation de la majorité des membres inscrits, le Président la lève».

Quelle est la situation au Parlement sud-coréen ?

Dans la foulée de l’annonce la loi martiale, le Parlement sud-coréen a été placé sous scellés, selon l’agence de presse locale Yonhap et des hélicoptères ont atterri sur son toit. Pour tenter de bloquer l’application de la loi martiale, les parlementaires se sont réunis en session aux alentours de 17 heures (heure de Paris). Les députés ont voté majoritairement pour l’annulation de la mesure.

Le vote ne s’est pas déroulé dans une assemblée sereine. Dès l’annonce du président, des policiers se sont rendus aux abords du Parlement aux alentours de minuit heure locale (15 heures à Paris) pour barrer l’entrée de l’édifice. Une vidéo montre aussi des militaires pénétrer à l’intérieur du bâtiment, a priori pour le «sécuriser».

Plusieurs vidéos montrent des affrontements entre membres des forces spéciales et des personnes présentes à l’intérieur de l’édifice. Selon des images diffusées en direct à la télévision, des centaines de personnes ont afflué devant le Parlement pour protester contre l’imposition de la loi martiale. «Ouvrez la porte, s’il vous plaît. Votre travail est de protéger l’Assemblée nationale. Pourquoi restez-vous les bras croisés pendant que des députés sont piétinés ?», a crié un homme cité par l’AFP à un groupe de policiers gardant les portes du Parlement, qui a été placé sous scellés.

L’armée s’est mise en branle juste après la déclaration de la loi martiale. Le ministre de la Défense nationale Kim Yong-hyun a tenu une réunion des principaux commandants à travers le pays dans la foulée, d’après une communication du ministère, et il a ordonné à l’ensemble de l’armée de se mettre en état d’alerte. Le Kyunghyang Shinmun rappelle que depuis la création des deux Corées en 1948, la loi martiale a été proclamée dix fois. C’est la première fois depuis 44 ans que cette mesure juridique est utilisée.

En fin de journée ce mardi, la bourse sud-coréenne était dans l’incapacité de se prononcer sur son éventuelle ouverture mercredi matin.

Quelles sont les réactions de la communauté internationale ?

Alors que 28 500 soldats américains sont mobilisés en Corée du Sud pour protéger le pays de son voisin du Nord, la Maison Blanche a déclaré «suivre la situation de près». «Nous observons avec une grande inquiétude les récents développements en République de Corée (Corée du Sud)», a déclaré Kurt Campbell, adjoint du secrétaire d’Etat américain. «Nous espérons et attendons que les différends politiques soient résolus pacifiquement et dans le respect de l’État de droit.» Les Etats-Unis disent ne pas avoir été informés à l’avance de la déclaration de la loi martiale en Corée du Sud. Washington dit espérer que le vote des élus pour suspendre la loi martiale sera «respecté».

Même son de cloche du côté du Royaume-Uni, Downing Street indiquant «suivre de près» la situation. «Evidemment c’est une situation qui évolue très rapidement […] Nous surveillons de près les développements en Corée du Sud», a déclaré un porte-parole du Premier ministre Keir Starmer, tandis que le ministère des Affaires étrangères a appelé les ressortissants britanniques à «suivre les conseils des autorités locales et à éviter les manifestations politiques».

L’ambassade de Chine en Corée du Sud a publié un communiqué dans lequel elle s’adresse à ses ressortissants, leur conseillant de «rester calmes» et de «renforcer leur vigilance en matière de sécurité, de limiter les sorties inutiles et de faire preuve de prudence lorsqu’ils expriment des opinions politiques».

L’ONU a déclaré suivre «avec inquiétude» la situation en Corée du Sud, tandis que le Kremlin juge la situation «alarmante». «La situation est alarmante. Nous la suivons de près», a déclaré le porte-parole de la présidence russe Dmitri Peskov à l’agence de presse Interfax.

Mise à jour à 19 h 18 avec les réactions internationales, à 21 heures avec l’annonce de la levée de la loi martiale par le Président sud-coréen.