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Mobilisation

En Inde, des milliers de personnes dans les rues après le viol et le meurtre d’une interne en médecine

Douze ans après le viol collectif d’une étudiante dans un bus, qui avait indigné l’opinion, des crimes perpétrés il y a une semaine contre une soignante ont fait naître de nombreuses manifestations nocturnes dans tout le pays pour réclamer justice.
Les mobilisations nocturnes répondent au mot d’ordre «Reclaim The Night» (que l’on peut traduire par «se réapproprier la nuit»), en référence aux slogans de mouvements de libération des femmes, notamment en Angleterre, dans les années 1970. (INDRANIL ADITYA/NurPhoto via AFP)
publié le 15 août 2024 à 18h41

Des bougies, des femmes par milliers, des marcheurs, des foules compactes, et ce slogan : «Nous voulons la justice !» Scandé ou brandi sur des pancartes, il était immanquable dans la nuit du 14 au 15 août, dans les manifestations qui ont illuminé les rues de Calcutta et d’autres villes indiennes. Non pas pour célébrer le 77e anniversaire de l’indépendance de l’Inde, mais pour protester contre le viol et le meurtre d’une interne en médecine au R. G. Kar Medical College and Hospital de Calcutta, un établissement public.

Une semaine après ces crimes perpétrés le 9 août dans la capitale du Bengale-Occidental, au nord-est du pays, la pression ne faiblit pas. Et la réaction du Premier ministre Narendra Modi, qui a déclaré que «les comportements monstrueux à l’encontre des femmes devraient être sévèrement et rapidement punis», n’apaise pas la colère, la peine, l’indignation. Comme si les faits demeuraient indigestes. Le quotidien indien The Telegraph les résume ainsi : «Cette médecin de 31 ans, en service depuis 36 heures, cherchait un endroit pour se reposer. Elle en a trouvé un sur son lieu de travail. Une salle de séminaire. C’est là qu’elle a été violée et assassinée. Pendant la nuit.»

«Quelle liberté célébrons-nous ?»

L’affaire cristallise une faillite des institutions, entre l’hôpital qui a d’abord parlé d’un suicide, la police qui «n’a jugé bon d’ouvrir une enquête pour meurtre lorsque les parents se sont plaints [la Haute cour de Calcutta a finalement transféré l’affaire mardi 13 août au Bureau central d’enquête, une agence fédérale, ndlr]», l’arrestation d’un seul individu quand les premiers indices favorisaient la piste d’un viol en réunion, décrit le journal. Elle révèle aussi les conditions de travail «abominables» des médecins et internes dans les hôpitaux publics et «un système de santé publique défaillant». Autant de frustrations qui ont précipité des milliers de personnes dans la rue.

«Quelle liberté célébrons-nous si une femme n’est pas en sécurité sur son lieu de travail ?» interroge Dharitri Chaudhuri, 25 ans, qui filme la manifestation au milieu d’une foule hétéroclite pour la BBC, à la veille de la célébration de l’indépendance. «En fait, le pays n’a jamais connu son indépendance, râle un manifestant sur le réseau social X. Douze ans après Nirbhaya, nous avons toujours besoin de marcher avec des bougies pour réclamer justice.» Le haschtag #Nirbhaya ou #Nirbhaya2 fait référence au viol collectif dans un bus et à la mort, des suites de ses blessures, d’une étudiante de 23 ans, qui avait scandalisé l’opinion en décembre 2012.

«Personne ne peut nous dicter qui peut être dehors et pourquoi»

Les mobilisations nocturnes répondent au mot d’ordre «Reclaim The Night» (que l’on peut traduire par «se réapproprier la nuit»), en référence aux slogans de mouvements de libération des femmes, notamment en Angleterre, dans les années 1970. Le mouvement a pris après une publication retentissante, le 10 août sur Facebook, de la chercheuse en sciences sociales Rimjhim Sinha. Elle partageait alors sa décision «de passer la veille du jour de l’indépendance “dehors” à faire ce qui lui plairait, au nom de la liberté des femmes», résume le Telegraph. Une réaction aux propos tenus par un responsable du RG Kar Medical College and Hospital de Calcutta : «Il avait demandé pourquoi la jeune femme s’était rendue seule dans la salle de séminaire [pour se reposer]. Un tel commentaire, qui rejette la responsabilité sur la victime, ne peut être accepté, argue-t-elle. Personne ne peut revendiquer la nuit et nous dicter qui peut être dehors et pourquoi.»

Aux réclamations de justice pour l’interne violée et tuée, se sont greffées d’autres revendications : transports de nuit dédiés aux femmes, installation de toilettes séparées de celles des hommes et de crèche sur le lieu de travail. Lundi, les médecins travaillant dans les hôpitaux publics de différents Etats indiens ont interrompu les soins non urgents pour une durée «indéterminée», réclamant davantage de sécurité sur leurs lieux de travail.

Les violences sexuelles à l’encontre des femmes sont très répandues en Inde, avec en moyenne près de 90 viols par jour signalés en 2022 dans le pays le plus peuplé au monde – 1,4 milliard d’habitants. A la suite du viol collectif de 2012, le gouvernement avait promulgué des peines plus dures contre les violeurs, et la peine de mort contre les récidivistes. Plusieurs nouveaux délits sexuels ont également été introduits depuis, comme le harcèlement, et des peines de prison ont été prévus pour les fonctionnaires qui n’enregistrent pas les plaintes pour viol.