C’est une réforme en demi-teinte du code pénal indien, adoptée l’année dernière, qui est entrée en vigueur lundi 1er juillet. Certains s’en sont félicités, comme le ministre de l’Intérieur, Amit Shah, qui vante en conférence de presse l’avènement du système judiciaire «le plus moderne du monde» et des lois «cruciales pour la justice et la dignité des citoyens», selon le quotidien de Bombay The Indian Express. Ces avancées «marquent un tournant» pour le pays, s’est également réjoui le président de la Cour suprême indienne, Dhananjaya Y. Chandrachud. Les défenseurs des droits de l’homme et certaines figures juridiques et politiques indiennes craignent au contraire de potentielles «conséquences néfastes», selon les mots d’Amnesty International, sur les «droits à la liberté d’expression, d’association, de réunion pacifique et à un procès équitable».
Virage autoritaire
Le premier motif invoqué par le pouvoir pour justifier cette révision est la volonté de prendre ses distances une fois pour toutes avec le passé colonial du pays, en supprimant toutes les lois britanniques héritées au moment de son indépendance, en 1947. Une modernisation qui passe par la suppression de vieilles lois, comme le crime de sodomie, mais aussi par la consolidation de l’arsenal juridique de lutte contre les violences faites aux femmes, avec des peines renforcées en cas de viol, de viol conjugal et de lynchage. Des enregistrements vidéo sur les lieux des crimes seront aussi rendus possibles, tout comme les plaintes en ligne, et les preuves numériques admissibles revues.
Cette réforme «historique» est en réalité symptomatique du virage autoritaire pris par le gouvernement du Premier ministre nationaliste, Narendra Modi. Ces trois nouvelles lois, dites BNS, BNSS et BSA, ont été adoptées au parlement indien en décembre 2023, en l’absence de près de 150 députés de l’opposition, suspendus la semaine précédant les débats, qui ont par ailleurs ont été expéditifs – environ 15 heures. Son chef au parlement et président du Congrès national indien, Mallikarjun Kharge s’est insurgé sur X : «Après le choc politique et moral des élections, Modi et [son parti] le BJP prétendent respecter la Constitution, mais en réalité ces trois lois, qui entrent en vigueur aujourd’hui, ont été passées de force.»
«Un terreau fertile pour la torture»
De nombreux problèmes se posent. Avec des millions d’affaires en attente de jugement, le système juridique indien est à bout de souffle. La cohabitation entre les nouveaux textes et les anciens, qui continuent de servir de référence pour les affaires en cours, mais aussi la possibilité de porter plainte en ligne, ne devrait pas arranger les choses. Avocat à la Cour suprême, Nipun Saxena craint ainsi que l’engorgement n’empire, avec une augmentation de «30 % à 40 %» des plaintes en attente de jugement.
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Amnesty International s’inquiète de son côté de l’allongement des durées maximales de détention des suspects, de 15 à 90 jours, et de la possibilité d’interrogatoires préliminaires de 14 jours. «Ce manque de clarté constitue un terreau fertile pour la torture et les autres mauvais traitements», regrette Aakar Patel, président du conseil exécutif de l’ONG en Inde. L’élargissement de la notion de terrorisme permettrait aux «autorités [d’instrumentaliser] différentes lois financières et antiterroristes pour réprimer systématiquement les défenseur·e·s des droits humains», s’alarme-t-il également.
Le crime de sédition, fortement critiqué parce qu’utilisé jusqu’alors comme un outil d’oppression contre des personnalités politiques, des journalistes, des activistes et des étudiants critiquant le gouvernement, est remplacé dans ces textes par tout acte «mettant en danger la souveraineté, l’unité et l’intégrité de l’Inde». Un crime passible d’emprisonnement à vie. Amnesty International y voit un tour de passe-passe, puisqu’il s’agit selon l’ONG «de la même formulation que l’ancienne loi de sédition». Mais le nouveau texte «augmente la peine minimale à 7 ans [de prison]», fustige l’association.