L’Inde se projetait comme le pont entre les pays riches et ceux en développement, mais son G20 aura en premier lieu servi de terrain de rapprochement entre les ennemis américains et russes. Le ministre des Affaires étrangères, Sergueï Lavrov, et le secrétaire d’Etat Antony Blinken se sont brièvement rencontrés, ce jeudi, en marge d’une session des chefs de la diplomatie du G20. Leur premier face-à-face depuis le début de l’invasion russe de l’Ukraine, le 24 février 2022.
La rencontre fut brève, dix minutes environ, et à l’initiative du représentant américain, selon plusieurs sources qui citent des officiels de deux pays. Antony Blinken a demandé à son homologue de «mettre fin à cette guerre d’agression», a-t-il déclaré à la presse jeudi soir depuis l’ambassade américaine de New Delhi, et de «s’engager dans une diplomatie significative pour arriver à une paix juste et durable, selon le plan en dix points proposé par le président ukrainien».
Le diplomate américain a également demandé à Sergueï Lavrov de reconsidérer la sortie récente de Moscou du traité New Start sur le désarmement nucléaire. «J’ai dit au ministre des Affaires étrangères que, quoiqu’il arrive dans le monde ou dans nos relations, les Etats-Unis seront toujours prêts à discuter et à agir pour le contrôle d’armes stratégiques. Tout comme les Etats-Unis et l’Union soviétique l’ont fait au plus fort de la guerre froide», a souligné Blinken.
Coût du conflit sur les plus pauvres
La référence à cette période confirme que Washington nourrit peu d’espoirs quant à un réchauffement de leurs relations, ou à une fin rapide du conflit. Un état d’esprit partagé par d’autres pays présents à New Delhi pour cette réunion du G20. «Nous devons nous préparer pour une longue guerre, confie à Libération le ministre hollandais des Affaires étrangères, Wopke Hoekstra. Il faut se rappeler que les Russes ont mené une guerre de neuf ans en Afghanistan et sont restés pendant des décennies en Europe de l’Est.»
L’Inde, qui préside cette année ce groupe des vingt pays et organisations les plus riches du monde, a insisté sur le coût que ce conflit fait peser sur les plus pauvres. «Les institutions internationales nées après la Seconde guerre mondiale ont échoué, dans leurs mandats établis, à prévenir les guerres futures et à faire naître une coopération internationale […], et ce sont les pays en développement qui souffrent le plus des conséquences de cet échec», a lancé, grave, le Premier ministre, Narendra Modi, en inaugurant cette réunion ministérielle.
La perturbation des chaînes logistiques à cause de la pandémie puis de la guerre en Ukraine a fait exploser les prix énergétiques et alimentaires, et plongé un grand nombre de pays émergents dans un désastre financier. Voisins de l’Inde, le Sri Lanka et Pakistan, par exemple, sombrent depuis un an dans une crise économique et humanitaire historique, ce qui les force à demander une aide urgente du Fonds monétaire internationale (FMI).
Pas de communiqué final
Selon l’Organisation de coopération et de développement économique (OCDE), le G20, composé des 19 pays les plus riches et de l’Union européenne, représente environ 85 % du Produit intérieur brut (PIB) mondial, mais seulement 66 % de la population. «La présidence indienne veut donner une voix aux pays du Sud, explique Narendra Modi. Car aucun groupe ne peut revendiquer un leadership mondial sans écouter ceux qui sont les plus touchés par ses décisions.»
Pour essayer de rassembler les problématiques communes de ce Sud aux contours divers, l’Inde a organisé en janvier un sommet virtuel, auquel ont participé 125 pays qui ne font pas partie du G20. Il était alors question de finance, d’énergie, de climat ou de santé, entre autres. Plusieurs de ces pays, comme le Bangladesh, l’île Maurice, l’Egypte et le Nigeria, étaient exceptionnellement jeudi invités à cette réunion du G20. Laquelle a d’ailleurs repris certains de ces thèmes de discussion : sécurité alimentaire et énergétique, coordination humanitaire, secours aux sinistrés, changement climatique, dont les nations les moins favorisées sont les premières à subir les ravages.
L’Inde a également introduit la question de «la cartographie mondiale des compétences», dans le but de «faciliter la mobilité internationale des talents présents dans le monde en développement, de manière équitable, légale et protégée, en évitant les intermédiaires illégaux», explique le ministre indien des Affaires étrangères, Subrahmanyam Jaishankar.
Ces différents points ont été adoptés par tous les membres du G20 dans un «document de conclusion» de 24 paragraphes. Deux d’entre eux, faisant directement référence à la guerre en Ukraine, et exigeant notamment le «retrait complet et inconditionnel de la Russie du territoire de l’Ukraine», ont sans grande surprise été rejetés par Moscou et Pékin. Ce qui a empêché l’adoption d’un communiqué final.