Attention, Volodymyr Zelensky n’a qu’à bien se tenir. Dans la guerre des images du moment, l’iconique président ukrainien qui trône sur les écrans en tee-shirt kaki, yeux cernés et joues mal rasées, s’est trouvé un compétiteur inattendu en Asie ces dernières heures. Et ce n’est pas un débutant : Kim Jong-un en personne. Dans une vidéo à la sauce hollywoodienne et slow motion, le leader nord-coréen apparaît en blouson de cuir, lunettes noires et visage glabre.
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Le moment est important, sinon solennel. Kim se doit d’annoncer la nouvelle, d’être au centre de l’image, encadré par deux galonnés : depuis l’aéroport international de Pyongyang Sunan, la Corée du Nord va tester un nouveau missile balistique intercontinental (ICBM), dernière génération, le Hwasong-17. Jamais depuis novembre 2017 et le moratoire qu’il s’était imposé en pleine guerre verbale avec les Etats-Unis, le Nord n’avait tiré un engin aussi puissant, à longue portée, avec le risque d’une escalade significative des tensions sur la péninsule coréenne.
Monstre et tanière
Images saccadées et séquencées, plans cut et serrés, musique ronflante, la bête est nichée dans un hangar sombre. Kim regarde sa montre, les militaires l’imitent. Suspense martial et flonflons film d’action. L’heure est grave. Retour au cadran, aux visages concentrés. Cette fois, c’est bon. Kim retire ses lunettes et opine du chef. Le monstre balistique peut sortir de sa tanière, juchée sur un camion à 22 roues, précédé du dirigeant suprême qui accompagne le missile comme il guide la nation. Dans quelques minutes, des ordres en rafales et en écho (feu-feu-feuuuuuuu !) déclencheront le tir.
La mise en scène grandiloquente sent un peu la naphtaline. Kim Jong-un a été à bonne école : son père, Kim Jong-il, se disait cinéphile, amateur de films et de comédiens étrangers (il en fit enlever d’ailleurs dans les années 70), réalisateur à ses heures perdues, soucieux de développer le cinéma nord-coréen. Mais là n’est pas essentiel. Aux yeux des autorités, cette vidéo permet de dire que la République populaire démocratique de Corée a «finalisé un nouvel ICBM comme moyen fiable de dissuasion de la guerre nucléaire», selon le commentaire des médias d’Etat.
Démonstration de force
En pleine crise ukrainienne, le jour même où Biden, les Européens, les Japonais se retrouvaient à Bruxelles pour renforcer leur réponse à l’invasion russe, Pyongyang n’a pas hésité à dégainer son Hwasong-17 et à franchir un nouveau palier. Kim Jong-un aurait voulu se rappeler aux bons souvenirs des Américains et des voisins japonais honnis, il ne s’y serait probablement pas pris autrement. Un tir, une vidéo de propagande et le «dirigeant suprême» nord-coréen signifie le peu de crédit qu’il accorde aux régimes de sanctions frappant la Corée du Nord. Depuis le début de l’année, il a multiplié les tirs et les essais, alors que son pays est frappé par la crise sanitaire et que la Corée du Sud est en pleine transition présidentielle. Et il s’est offert le luxe de décider lui-même de la fin d’un moratoire qu’il s’était lui-même imposé. Ça s’appelle une démonstration de force.
Signe de l’importance du moment et du lancement, Ri Chun-hee la présentatrice vedette historique, et oracle-annonciatrice de grandes nouvelles (bonnes ou mauvaises), a été mobilisée pour l’occasion. Et si Kim apparaît plus que jamais en chef d’orchestre du tir, c’est bien pour souligner le fait qu’il l’a supervisé. Et, comme pour le précédent essai de novembre 2017, des photos ont été diffusées par les médias d’Etat le montrant en train de signer l’ordre de tir.
Pyongyang a indéniablement franchi un cap. Lors de ce vol en cloche maîtrisé, notamment pour perfectionner la technique de rentrée dans l’atmosphère, le Hwasong-17 a atteint une altitude de 6200 kilomètres et parcouru 1090 kilomètres. C’est bien plus qu’en 2017. Depuis cinq ans, la Corée du Nord perfectionne son arsenal balistique sur terre, en mer, dans les airs. La «dénucléarisation complète et vérifiable» des années Trump n’est plus sur la table de discussion. Plus que jamais, il faut compter avec la Corée du Nord et ne pas oublier la menace qu’elle représente. En pleine guerre en Ukraine, c’est une piqûre de rappel. Qui méritait bien une vidéo.