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Trafic

Fentanyl : la Chine annonce renforcer les contrôles sur les composants chimiques utilisés pour fabriquer la drogue

Pékin et Washington ont annoncé mardi 6 août la signature d’un accord visant à freiner le trafic de fentanyl. La Chine s’est engagée à renforcer ses contrôles sur les produits chimiques utilisés pour fabriquer cet opioïde de synthèse responsable d’une épidémie d’overdoses aux Etats-Unis.
Les composants chimiques requis pour la fabrication du fentanyl illégal arrivent aux Etats-Unis sous forme de poudres expédiées par avion, avant d’être envoyés au Mexique pour être travaillées. (Jeniffer Fontan/Getty Images)
publié le 7 août 2024 à 18h33

C’est un deal historique dans la lutte contre le trafic de fentanyl. La Chine a annoncé mardi 6 août un renforcement des contrôles sur les produits chimiques utilisés pour fabriquer ce puissant opioïde de synthèse responsable de 80 000 morts par overdoses chaque année aux Etats-Unis. Si le fentanyl qui inonde le territoire américain sort tout droit des presses rotatives des laboratoires des cartels mexicains, dont celui de Sinaloa, c’est bien en Chine que les trafiquants se fournissent en précurseurs chimiques, les indispensables produits nécessaires à la fabrication de la drogue.

Comme l’a rappelé une large enquête publiée par Reuters le 25 juillet, les précurseurs chimiques requis pour la fabrication du fentanyl illégal arrivent aux Etats-Unis sous forme de poudres expédiées par avion, avant d’être envoyés au Mexique pour être travaillées. Pas besoin d’un container rempli à ras bord de précurseur chimique : la quantité suffisante pour fabriquer un grand nombre de cachets de fentanyl peut tenir dans un petit sac.

Selon un communiqué publié cette semaine par le ministère de la Sécurité publique chinoise, trois produits chimiques essentiels pour fabriquer du fentanyl (4-Aminopyridine, 1-Boc-4-AP et Norfentanyl) ont été ajoutés par Pékin à une liste de substances dont la production et la vente feront désormais l’objet d’une surveillance accrue. La mesure, qui sera appliquée dès le 1er septembre, a été qualifiée mardi «d’avancée précieuse» par la Maison Blanche.

«La Chine a toujours attaché une grande importance à la coopération internationale en matière de lutte contre le narcotrafic et est disposée à coopérer avec les pays du monde entier, y compris les États-Unis», a annoncé Liu Pengyu, porte-parole de l’ambassade de Chine à Washington. Avant d’ajouter : «Nous espérons que les États-Unis pourront travailler dans la même direction avec la Chine et poursuivre notre coopération fondée sur le respect mutuel, la gestion des différences et les avantages mutuels.»

Plusieurs entités chinoises sanctionnées par les Etats-Unis en octobre 2023

Cette annonce, survenue après plusieurs séries de discussions entre Pékin et Washington, témoigne d’une coopération grandissante entre les deux pays autour de la lutte contre le trafic de fentanyl. Un progrès, après plusieurs années de brouille. La Chine, dont la législation antidrogue est parmi les plus strictes au monde, a plusieurs fois critiqué le laxisme américain supposé en matière de lutte contre les stupéfiants et le manque de sensibilisation du public à la dangerosité des opiacés de synthèse. En 2019, sous la pression des Etats-Unis, la Chine a pour la première fois soumis les opioïdes de synthèses illicites à une surveillance stricte à l’intérieur de ses frontières, notamment en inscrivant toutes les formes existantes de fentanyl sur la liste des substances contrôlées.

Pas suffisant, selon Washington, qui a continué de reprocher à la Chine de ne pas faire assez pour lutter contre le commerce illégal de produits servant à fabriquer le fentanyl, allant même jusqu’à sanctionner plusieurs entités chinoises en octobre 2023. Dans un rapport publié en avril, la commission parlementaire du Congrès sur la Chine a même accusé Pékin d’être responsable de l’épidémie de fentanyl ainsi que d’avoir créé des programmes pour récompenser les entreprises exportant du fentanyl et d’autres drogues illégales vers les États-Unis. Une accusation rejetée par le gouvernement chinois.

Si les pourparlers entre Pékin et Washington en matière de drogue étaient au point mort ces dernières années, les discussions ont pris un nouvel élan depuis la rencontre en novembre aux Etats-Unis entre les présidents américain et chinois. Et la lutte contre le trafic de fentanyl figure désormais parmi les priorités de la Maison Blanche. La semaine dernière, l’administration Biden a exhorté le Congrès à adopter une loi pour désigner les substances liées au fentanyl comme des drogues figurant dans «l’annexe I» du tableau des stupéfiants, telles que le LSD, l’héroïne ou encore le peyotl, un cactus contenant plusieurs alcaloïdes tels que la mescaline. Des substances qui n’ont aucune utilisation médicale reconnue et présentent un potentiel élevé d’abus. L’adoption de cette loi permettrait de prendre des sanctions plus lourdes pour la distribution et la possession de ces substances.

Les overdoses, une des premières causes de mortalité chez les Américains

Oxycontin, Fentanyl, Hydromorph Contin… Depuis vingt ans, les Etats-Unis font face à une crise sanitaire de grande ampleur. Cette épidémie aurait tué près d’un demi-million de personnes dans le pays. De quoi faire des overdoses l’une des premières causes de mortalité dans la population américaine. A l’origine, le fentanyl est un puissant antidouleur prescrit pour les personnes atteintes de cancer en phase terminale.

Vendus, à tort, comme des médicaments sans risques de dépendance, ces analgésiques dérivés de l’opium ont été doublés, pour de nombreux Américains souffrant de douleurs chroniques, d’une surconsommation de remèdes. Une accoutumance qui a entraîné une gradation des dosages. Jusqu’à consommer du fentanyl prescrit légalement ou issu du marché noir, avant de se rabattre sur l’héroïne. C’est la trop longue absence de régulation et de contrôle des lobbys par les autorités sanitaires américaines qui a entraîné ce flot de victimes.

Depuis, les Etats-Unis ont serré la vis. Mais l’épidémie est toujours en cours : entre 2013 et 2022, cette drogue a tué plus de 300 000 personnes, et en 2022, le fentanyl est devenu la première cause de décès chez les 18-49 ans. Si désormais le robinet des prescriptions abusives est fermé et la famille Sackler, mère de l’Oxycontin et de son marketing agressif, est depuis sur la touche, les cartels de la drogue ont pris le relais avec une cadence industrielle pour produire une drogue toujours plus puissante : le Fentanyl ou les fentanyloïdes non pharmaceutiques issus du marché clandestin sont 100 à 10 000 fois plus puissants que la morphine.

Aux Etats-Unis, on estime qu’une personne meurt toutes les six minutes d’une overdose. Dans environ 70 % des cas, les victimes avaient consommé des opiacés (héroïne, morphine, médicaments antidouleurs et surtout molécules de synthèse). Et 80 % de ces décès liés aux opiacés sont le fait de psychotropes synthétiques, au premier rang desquels le Fentanyl.