Hsu retrousse les manches de sa blouse de médecin et montre sa pancarte à bout de bras, le regard fixé sur l’objectif du photographe en face d’elle à Rangoun. On peut y lire, en anglais : «Nous manquons nos leçons pour t’en apprendre une, Min Aung Hlaing.» Cette étudiante en médecine généraliste de 21 ans prenait des cours à distance depuis l’arrivée du Covid-19 dans le pays, en mars 2020. Elle a tout arrêté pour rejoindre les premières manifestations contre le coup d’état du 1er février.
A lire aussi
Autour d’elle, la jeunesse de Rangoun rivalise de créativité et de références de la pop-culture pour attirer l’attention des médias internationaux et des internautes du monde entier. Un groupe d’amis, vêtus de jeans de la tête aux pieds, visage caché par un masque noir, portent tous le même panneau : «Le monde dit que le Covid-19 est nul, mais l’armée birmane est pire.» Derrière eux, un cortège d’ingénieurs, casque de chantier jaune vif sur la tête, brandit une pancarte sur laquelle est écrite «les informations sur MRTV [la chaîne de télévision d’Etat] sont encore plus fausses que les seins de Kylie Jenner». Dans le centre-ville de Rangoun, les trottoirs, les générateurs électriques, les murs sont tatoués de graffitis représentant les trois doigts dressés, symbole de la résistance, entre deux tags disant «Sois mon héros, rejoins le mouvement de désobéissance civile».
Trains empêchés de circuler
Le mouvement de désobéissance civile, un mélange de grève d’employés de secteurs clés de l’économie et d’actes de contestation pacifique, prend de plus en plus d’ampleur. Kyawt Kay Thwe, employée de la banque UAB, manifeste devant la Banque centrale ce matin. Les blindés sont partis, mais la police en bloque l’accès. La jeune femme fait grève depuis le premier jour. Ses amis distribuent des flyers avec les paroles des slogans que l’on entend tout autour d’eux. «On est déjà à 50 % [des employés de la Banque centrale] qui ont rejoint le mouvement, explique-t-elle, et demain, on ira devant leur résidence pour les pousser à continuer.» La grève des employés de la Banque centrale n’est que la dernière des réussites du mouvement de désobéissance civile du pays.
A Mandalay, deuxième ville économique du pays, des cheminots ont fait le buzz sur les réseaux sociaux en s’allongeant sur les voies, pour empêcher les trains de circuler. Chassés par la police, ils sont revenus le lendemain. A Rangoun, à défaut de pouvoir bloquer les rues avec leur voiture, les conducteurs empruntent les grands axes en roulant au pas. Le but, clairement affiché, est de freiner l’éventuelle intervention de camions de soldats.
Vélos en panne
Au même moment, des dizaines de trishaw, ces vélos avec side-car, sont abandonnées au milieu d’Insein Road, avenue majeure de la ville. «Ils sont tombés en panne», explique Ko Min, l’un des propriétaires, hilare. Son trishaw, dont il a retiré la roue avant, fait partie du lot. Les voitures, gênées, tentent de les contourner lentement. Ko Min s’assoit sur une journée de salaire pour un acte de désobéissance civile.
Plus au sud de la ville, Pyay, chemise noire d’avocat et col Mao fermé d’un petit diamant brillant, essuie son front perlé de sueur. Il pointe du doigt les arcades coloniales de l’imposant bâtiment de brique rouge du Tribunal de Rangoun. «Vous voyez ? Certaines fenêtres se ferment. Il y a donc des gens à l’intérieur.» Avec ses collègues, ils manifestent depuis quatre jours au même endroit pour inciter le plus de monde possible à rejoindre le mouvement de désobéissance civile. «On ne sait pas combien de personnes viennent encore travailler. On continue», poursuit-il. Il est interrompu par une jeune femme qui lui tend une boîte de nourriture. Autour de lui, les avocats, vêtus de l’uniforme noir de la profession, sont en train de s’asseoir à même le trottoir, leur repas offert en mains. A l’ombre des arbres, les groupes d’amis se rassemblent, enlèvent leurs masques et commencent à manger en discutant. La manifestation prend sa pause déjeuner.
Lacets défaits et sourires aux lèvres
Un peu plus au nord de la ville, c’est tout un carrefour qui se retrouve soudainement bloqué. Les passants, qui traversaient la rue, se sont arrêtés pour refaire leurs lacets, tous au même moment. Penchés sur leurs chaussures, ils prennent leur temps pour renouer des lacets parfois inexistants. Et même les porteurs de tongs ont décidé de participer. Autour d’eux, les voitures klaxonnent, saluant l’initiative. Les autres manifestants, sourire aux lèvres, filment la scène sur leur téléphone.
A lire aussi
May, elle, regarde les passants défiler depuis son ambulance, le visage fermé. Sur son casque, un autocollant annonce «soutien médical» en anglais. Avec son équipe, la jeune femme effectue des rondes pour prendre soin des manifestants. «Ce sont surtout des cas d’insolation, ou des personnes déshydratées qui viennent nous voir», dit-elle. A côté d’elle, Mratt Kyaw, son collègue, a les traits tirés. «Depuis le couvre-feu à 20 heures, nous ne pouvons plus aller aider les gens la nuit. L’armée nous arrête. Et avec le mouvement de désobéissance civile, beaucoup d’hôpitaux ne prennent plus de patients», raconte-t-il. «L’hôpital militaire dit qu’il accueille les malades. Mais l’autre jour, un patient est décédé dans mon ambulance, parce que les militaires ne voulaient pas l’accepter sans ses documents d’identité.» Il a le regard vide, et des cernes profonds. May désigne d’un geste de main ses collègues, assis à l’arrière de l’ambulance. «Nous soutenons le mouvement de désobéissance civile. Mais il faut aussi que nous puissions garder les gens en vie.»