Une première depuis 1977. Ce jeudi 29 août, Chung Pui-kuen, 54 ans, et Patrick Lam, 36 ans, anciens rédacteurs en chef du site d’information prodémocratie Stand News, ainsi que leur entreprise éditrice, Best Pencil Limited, ont été reconnus coupables de «conspiration en vue de publier et de reproduire des contenus séditieux», par le tribunal de district Wan Chai, situé au centre de Hongkong. Les journalistes, placés en détention provisoire pendant 349 jours, ont été libérés sous caution en attendant le prononcé de leur peine, prévu pour le 26 septembre. Ils risquent jusqu’à deux ans de prison. Cette condamnation, la première pour «sédition» depuis le retour de Hongkong sous la coupe de la Chine, intervient dans un contexte où la loi sur la sédition, héritée de l’époque coloniale britannique, est de plus en plus utilisée pour réprimer la dissidence.
Condamnation historique
«Je déclare les trois accusés coupables», a tranché le juge Kwok Wai-kin. Selon le tribunal, Stand News a soutenu et encouragé l’autonomie de Hongkong d’une manière qui a «dénigré les autorités centrales [Pékin] et du gouvernement de la Région administrative spéciale de Hongkong». Le procès, qui a duré près de soixante jours, a été décrit par Lau Yan-hin, ancien employé de Stand News, comme une «attaque généralisée» contre les médias. «Ce procès m’a laissé confus quant à ce qui peut ou ne peut pas être dit», a-t-il déploré auprès de l’Agence France Presse. Durant celui-ci, le parquet a cité comme preuves 17 articles et trois vidéos publiés sur Stand News, dont des interviews de militants prodémocratie.
Cette décision intervient après la fermeture de ce qui fut l’un des derniers médias indépendants de langue chinoise et prodémocratie de Hongkong, en décembre 2021 à la suite d’une perquisition de plus de 200 policiers de la sécurité nationale dans ses locaux, l’arrestation de six membres du personnel et le gel de ses actifs. Ce portail d’informations, fondé en 2014, couvrait de façon très détaillée et souvent favorable le mouvement prodémocratie de 2019 contre un projet du gouvernement local d’autoriser des extraditions vers la Chine continentale.
Enquête
«Une journée sombre pour la liberté de la presse»
Beh Lin Yi, du Comité pour la protection des journalistes, a dénoncé l’utilisation de «cette législation archaïque» comme une preuve que Hongkong s’éloigne de plus en plus de l’Etat de droit. «La décision d’aujourd’hui est la preuve que Hongkong s’enfonce dans l’autoritarisme et que le fait de ne pas suivre la ligne officielle peut conduire n’importe qui en prison», estime-t-elle. Selon la journaliste d’investigation au Washington Post, Shibani Mahtani, les reporters de Stand News ont «défendu l’intégrité de la profession journalistique à Hongkong». Sur X, elle a souligné que leur verdict de culpabilité aura des répercussions profondes sur l’avenir de la presse dans la région.
Chris Patten, le dernier gouverneur de Hongkong de 1992 à 1997, parle d’une «journée sombre pour la liberté de la presse», déplorant que des journalistes soient condamnés pour avoir fait leur travail. Cédric Alviani, directeur du bureau Asie Pacifique de Reports sans frontières (RSF), a qualifié de son côté le verdict d’«épouvantable», mettant en garde contre un précédent dangereux pour les journalistes. «A partir de maintenant, quiconque rapporte des faits qui ne correspondent pas au récit officiel des autorités pourrait être accusé de sédition.» L’Union européenne a également réagi, affirmant dans un communiqué que cette décision pourrait «entraver l’échange pluraliste d’idées et la libre circulation d’informations, deux pierres angulaires de la réussite économique de Hongkong». Enfin, Washington, via le porte-parole du département d’Etat, Matthew Miller, a dénoncé «une attaque directe contre la liberté des médias».
Une «lente détérioration» des libertés
Cette affaire est «sans aucun doute un cas de référence en matière de répression de la liberté de la presse, a déclaré à l’AFP un ancien journaliste de Stand News, sous couvert d’anonymat. Chung Pui-kuen a simplement fait ce que tout journaliste aurait fait. Par le passé, cela n’aurait pas abouti à de la criminalisation et de l’emprisonnement.» Kevin Yam, chercheur senior au Centre de droit asiatique de l’université de Georgetown, se souvient de sa rencontre avec Patrick Lam en 2014. «Patrick Lam était l’un des premiers journalistes avec qui j’ai échangé à l’époque, lorsque le chercheur militait pour dénoncer les menaces de Pékin sur l’Etat de droit à Hongkong. Mes réponses aux journalistes ne répondaient pas toujours à leurs attentes. Pourtant, Patrick saisissait ce que je voulais exprimer et me citait ou me paraphrasait toujours plus fidèlement que ses collègues.» Patrick Lam avait toujours voulu «être témoin de la lente détérioration de la gouvernance et des libertés fondamentales à Hongkong», conclut-il dans une publication sur son compte X.
Cette décision survient alors que Hongkong a vu son classement mondial en matière de liberté de la presse chuter de 18e à la 135e place depuis 2002, selon Reporters sans frontières.