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Libération
Récit

Inde : le gouvernement Modi veut faire taire la révolte agraire sur Twitter

Le pouvoir nationaliste hindou fait pression sur le réseau social pour suspendre des centaines de comptes soutenant la révolte des agriculteurs indiens. Mais Twitter refuse de répondre favorablement à l’ensemble de ces sollicitations.
Manifestation contre la réforme agraire en Inde, à Delhi le 3 février. (Manish Swarup/AP)
publié le 16 février 2021 à 17h03

Le ton monte entre Twitter et l’Inde. Depuis fin janvier, le Parti du peuple indien (BJP), au pouvoir, dirigé par le Premier ministre, Narendra Modi, demande la suppression de centaines de comptes Twitter d’activistes et de journalistes qui critiquent sa politique. Ces derniers constituent, selon les autorités, «une grave menace pour l’ordre public» en soutenant les grandes manifestations qui secouent actuellement le pays.

Des dizaines de milliers d’agriculteurs protestent contre une réforme agraire depuis plus de deux mois. Cette législation est très contestée car elle assouplit les règles de vente, de fixation des prix et de stockage des produits, qui protègent les petits et moyens agriculteurs face à la concurrence des grands exploitants. Le 12 janvier, la Cour suprême a suspendu temporairement la réforme, mais les manifestants souhaitent qu’elle soit totalement abandonnée.

Outil de mobilisation

Une partie d’entre eux utilise activement Twitter comme outil de mobilisation. Via notamment le hashtag #ModiPlanningFarmerGenocide («Modi organise le génocide des agriculteurs»), ils relayent des informations liées aux manifestations : images de répression policières, articles de presse, lieux de rassemblements, etc. L’Inde compte 17,5 millions d’utilisateurs sur Twitter pour une population de plus de 1,3 milliard de personnes. C’est le troisième pays le plus connecté sur le réseau californien d’après les chiffres de la plateforme Statista.

Pour tenter de lutter contre la circulation de ce flux d’informations sur ce réseau social très utilisé, le gouvernement de Modi procède à des coupures d’Internet dans certaines parties de son territoire. Il exerce aussi une pression constante sur les dirigeants de Twitter. Ceci en vertu de la loi indienne sur les technologies de l’information, qui permet à l’Etat de bloquer l’accès à des informations en ligne qui menacent sa souveraineté et son intégrité.

Face aux sollicitations de l’Etat indien, Twitter a d’abord, début février, réduit l’apparition du mot-clé sur sa plateforme, suspendu provisoirement près de 250 comptes ou empêché leur visibilité en Inde. Mais la mesure n’a duré qu’une journée et le réseau social a refusé de suspendre l’essentiel des comptes au nom de la liberté d’expression. En réaction, le ministre indien des Technologies de l’information, Ravi Shankar Prasad, a menacé d’arrêter les employés de Twitter travaillant en Inde s’ils n’obéissaient pas aux règles imposées par la loi. Et de les punir d’une peine de prison longue de sept ans.

Echo international

Afin de protéger ses salariés, le réseau social a fini par lâcher encore un peu plus de lest. Le 11 février, Twitter a suspendu 1 300 comptes en expliquant qu’ils «cherchaient, de manière très claire, à manipuler [le réseau social]» et organisaient «des campagnes de désinformation qui présentaient de fortes chances d’entraîner des violences physiques». Tout en épargnant les comptes appartenant aux journalistes et politiciens.

Mais ce n’est pas assez pour le gouvernement indien, qui estime que Twitter cautionne «une campagne sur les réseaux sociaux planifiée depuis l’étranger» visant à créer des «troubles» en Inde. Ces propos font référence aux tweets de l’activiste suédoise Greta Thunberg et de la chanteuse barbadienne Rihanna qui avaient soutenu les manifestations d’agriculteurs. Leurs posts ont donné un écho international à la mobilisation.

Certaines personnalités indiennes, dont le ministre du Commerce et de l’industrie, Piyush Goyal, ont depuis exhorté leurs abonnés Twitter à rejoindre «Koo», le réseau social indien concurrent. Le Premier ministre, Narendra Modi, reste, lui, un utilisateur du réseau social américain. Sur cette plateforme, il est l’un des leaders mondiaux les plus suivis avec 65,7 millions d’abonnés.