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Scrutin

Japon : percée de l’extrême droite, le Premier ministre en sursis

Le parti libéral-démocrate de Shigeru Ishiba n’a obtenu que 47 sièges lors des élections sénatoriales organisées ce dimanche 20 juillet. De son côté, l’extrême droite remporte 14 sièges.
Tableau d'affichage électoral à Tokyo, le 20 juillet 2025. (Eugene Hoshiko/AP)
par Karyn Nishimura, correspondante à Tokyo
publié le 20 juillet 2025 à 15h24

La fièvre montait sur les réseaux sociaux depuis des mois et sur les places publiques durant la campagne électorale, les résultats du scrutin sénatorial de ce dimanche 20 juillet le confirment : une extrême droite xénophobe fait une percée forte parmi un large électorat japonais. Et le Premier ministre de droite, Shigeru Ishiba, dont la coalition conservatrice ne sera plus majoritaire, est peut-être en sursis.

La formation Sanseito, parti créé il y a cinq ans par l’influent Sohei Kamiya, dont le slogan «Les Japonais d’abord» a fait mouche sur X, YouTube et dans la rue, pourrait emporter 22 sièges sur les 125 en jeu dimanche (sur 248 sièges au total). Elle n’avait qu’un élu dans cette moitié du Sénat renouvelée et un dans l’autre moitié. «Jusqu’au bout je m’en suis tenue à cette volonté exprimée par le slogan “les Japonais d’abord” et je pense que cela a parlé aux électeurs. Alors que les ménages souffrent de la hausse des prix, sur fond de salaires qui stagnent, j’ai le sentiment que nous avons aussi été entendus sur notre proposition de suppression progressive de la taxe sur la consommation [équivalent de la TVA, ndlr] ainsi que sur les aides pour les familles», s’est réjouie l’ex-chanteuse Saya, candidate Sanseito qui a pris la première place à Tokyo.

Dans sa farouche volonté de «protéger les Japonais», cette quadragénaire populaire n’hésite pas à évoquer publiquement la création d’un service militaire au Japon ou la possession de l’arme nucléaire. Appréciée des jeunes et des mères de famille qui la suivent sur les plateformes en ligne, elle dit aussi espérer proposer des textes pour renforcer la législation contre les espions.

Vieille formation conservatrice

Le parti Sanseito a surtout réussi à imposer dans ce scrutin le thème du «problème des étrangers» derrière lequel ont cavalé les autres partis de droite, à commencer par celui au pouvoir, le Parti libéral-démocrate (PLD), mais sans convaincre puisqu’il est jugé responsable de l’accueil de centaines de milliers de travailleurs et étudiants étrangers. «C’est pour cela que le salaire des Japonais n’augmente pas. Je ne fais pas de discrimination envers les étrangers, je critique juste une politique totalement erronée», a insisté tout au long de la campagne Sokei Kamiya.

La popularité du Sanseito auprès d’un électorat d’habitude peu politisé comme les moins de trente ans est symptomatique face aux candidats du PLD, omnipotente et vieille formation conservatrice au pouvoir depuis soixante-dix ans presque sans discontinuer. Accointances avec des membres de la secte Moon, scandale de caisses noires, incapacité à réformer le financement politique ou à enrayer l’inflation, politique en faveur des grandes entreprises qui l’alimentent en dons plus qu’au service des citoyens, cafouillage sur l’approvisionnement en riz (qui a fini par manquer), difficiles négociations avec l’administration sur les droits de douane face au président américain Donald Trump… Depuis des mois, le PLD cumule les échecs. Perçu comme un parti vieillot peu en phase avec les aspirations de la société, il peine, depuis la disparition du charismatique et autoritaire Shinzo Abe (assassiné en 2022) à conserver une partie de l’électorat très droitier, et notamment les jeunes.

L’incapacité du gouvernement à tenir ses promesses (par nature intenables, comme celle de garantir des hausses de salaires supérieures à l’inflation alors que l’exécutif n’a pas la main sur ces leviers), lui vaut aussi la rancœur des citoyens préoccupés par leurs fins de mois. Ce d’autant que le PLD ne veut pas baisser les impôts (surtout pas la détestée taxe sur la consommation) vu qu’il a déjà toutes les peines du monde à financer ses projets, notamment le doublement du budget de la défense. Et ce même si le Premier ministre a promis avant le scrutin de distribuer de l’argent «aux foyers qui en ont le plus besoin», un grand classique.

«Nous, nous proposons que le travail rapporte plus, que les revenus réels augmentent», rétorque Yuichiro Tamaki, numéro un d’une autre formation, le Kokumin Minshuto (Parti démocratique pour le peuple) qui attire aussi en nombre les jeunes, mais un peu moins les femmes depuis l’adultère de son président et quelques réflexions sexistes. Sa formation, qui elle aussi a réussi sa campagne en ligne, pourrait obtenir plus de 20 élus contre 3 auparavant sur les sièges en jeu.

Double échec

Sans majorité absolue à la Chambre basse depuis l’automne, le PLD et son allié Komeito se retrouvent désormais dans la même situation à la Chambre haute, selon les premières estimations de la chaîne de télévision NHK. Ce double échec est une première sous la nouvelle Constitution entrée en vigueur en 1947.

La question de la démission du chef du gouvernement est clairement posée, même si l’intéressé a dit dimanche soir «attendre les résultats définitifs» – pas avant lundi matin – et considérer «que le PLD restant le premier parti, il a aussi la responsabilité de mener à bien les politiques promises». Reste que le mammouth qu’est ce mouvement créé en 1955, divisé en clans, laisse rarement son président décider seul de sa politique comme de son propre sort.