Les visages sont crispés, attentifs. Et soudain, c’est l’explosion de joie. Devant cet écran géant installé dans le centre-ville de Tainan, grande ville du sud de Taiwan, ils sont des centaines à savourer la première médaille d’or taïwanaise de ces Jeux olympiques, remportée dimanche 4 août par Lee Yang et Wang Chi-Lin en badminton double masculin au terme d’un match très serré. La victoire a un goût particulier : l’adversaire, médaillé d’argent, n’est autre que la Chine, dont les pressions interdisent à Taïwan d’utiliser son nom et ses symboles dans les compétitions internationales. Les badistes taïwanais établissent au passage un nouveau record en remportant pour la deuxième fois consécutive l’or olympique.
Retransmission coupée en Chine
«Pour moi, ce n’est pas que du sport, assure un jeune agent immobilier, grand sourire et bière de la marque taïwanaise jin pai («médaille d’or» en chinois) à la main. On ne peut pas montrer notre drapeau, on ne peut pas chanter notre hymne et la Chine veut nous envahir. Il fallait qu’on gagne ce soir.» La dimension politique de la finale n’a pas non plus échappé à Pékin, dont la télévision d’Etat a coupé à plusieurs reprises la retransmission en direct de la finale. «Ce triomphe des indépendantistes taïwanais me dégoûte», a lâché à la fin du match un internaute sur le réseau social chinois Weibo, aux côtés de commentaires félicitant les sportifs taïwanais.
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La victoire des badistes taïwanais, qui s’ajoute aux médailles de bronze remportées par Taiwan en boxe féminine et en tir homme, fait office de lot de consolation face à l’interdiction pour Taïwan d’utiliser ses symboles lors des compétitions internationales, et dans un contexte de pressions militaires et politiques chinoises grandissantes. Depuis 1981, l’archipel de 24 millions d’habitants, qui dispose de sa propre monnaie, d’un président élu démocratiquement et de son armée, participe aux Jeux olympiques en tant que «Taipei Chinois», un nom très peu apprécié par les Taïwanais, à plus de 90 % opposés à une annexion chinoise. Le Comité international olympique interdit également l’utilisation de tous symboles de pays ou de régions non représentés officiellement en compétition.
Zèle des organisateurs
Habitués à ce sentiment d’injustice, les Taïwanais ont dénoncé ces derniers jours le zèle supposé des organisateurs de Paris 2024. Lors de la cérémonie de remise de la médaille d’or en badminton, dimanche, un petit panneau représentant une carte de Taiwan a ainsi été retiré en direct des mains d’un spectateur. Un peu plus tôt, un bout de carton vierge aurait été confisqué par la sécurité, selon un témoignage rapporté par les médias taïwanais, probablement par crainte qu’une inscription y soit ajoutée.
«La consigne des organisateurs de Paris 2024 est qu’on ne peut rien utiliser qui évoque Taïwan. Nous voulions écrire les deux lettres “TW” à l’entrée du pavillon, mais même cela a été interdit», explique à Libération un volontaire taïwanais au Parc des nations, où concerts et événements présentant la culture de l’archipel se succèdent depuis le début des olympiades. L’ambassadeur officieux de Taiwan en France a de son côté rapporté un autre incident à la police français lors duquel un homme arrache une pancarte «Allez Taiwan» des mains d’une spectatrice taïwanaise. Selon un dissident chinois anonyme cité par l’agence CNA, la Chine aurait «envoyé» du personnel dans les stades pour surveiller l’apparition de symboles controversés. Les Taïwanais, eux, scrutent désormais avec impatience leurs prochaines chances de médailles, et notamment le quart de finale en tennis de table double masculin, qui aura lieu ce mardi 6 août dans l’après-midi.