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Libération
Répression

La Chine lance 8 mandats d’arrêt contre des opposants hongkongais en exil

La police de sécurité nationale de Hongkong a émis 8 mandats d’arrêt internationaux ce lundi 3 juillet à l’encontre de militants prodémocratie exilés dans le monde. Une nouvelle étape dans la reprise en main de la ville par la Chine.
Le 15 avril à Hongkong, lors d'une démonstration de la police. (Anthony Kwan /AFP)
publié le 4 juillet 2023 à 3h23

A Hongkong, la traque des démocrates ne s’arrête plus aux frontières. La police du département de sécurité nationale de la région administrative spéciale a émis ce lundi 3 juillet un mandat d’arrêt contre huit opposants exilés au Royaume-Uni, aux Etats Unis ou encore en Australie. Huit anciens députés, conseillers législatifs ou leaders d’ONG, parmi lesquels l’ancien leader du Mouvement des parapluies, Nathan Law. A la clé, une récompense d’un million de dollars hongkongais (environ 117 000 euros) pour chacun des huit dissidents recherchés.

Ce qu’on leur reproche : violer la très répressive loi de sécurité nationale (LSN), adoptée le 30 juin 2020. Imposée de force par Pékin, un an après les mouvements prodémocratie qui ont secoué la ville en 2019, cette loi fait désormais partie d’une nouvelle réalité pour Hongkong, qui apprend malgré elle à abandonner ses rêves de démocratie. Elle menace de peines allant jusqu’à la prison à perpétuité toute personne accusée de «terrorisme», «sécession», «subversion» et «collusion avec des forces étrangères». Des accusations aussi larges qu’imprécises. «Les lignes rouges sont très floues personne ne sait où elles sont. Par conséquent les gens n’osent plus rien dire, ni parler avec des interlocuteurs étrangers», explique Emily Lau, ancienne députée au Parti démocrate et icône du mouvement prodémocratie en rappelant que se tient depuis février le procès de 47 démocrates accusés d’enfreindre la LSN pour avoir organisé une primaire aux élections législatives de 2020.

Extraterritorial

Le média indépendant Hongkong Free Press (HKFP) a noté que l’annonce survient une semaine après un éditorial du journal d’Etat chinois Ta Kung Pao, sorte d’oiseau de mauvais augure du régime, dont les articles à charge contre un activiste ciblé précèdent souvent son arrestation. L’article en question rappelait le caractère extraterritorial de la LSN. Comme le souligne le professeur de droit à l’Université de Hongkong Albert Chen, dans un cours sur la sécurité nationale rendu obligatoire aux étudiants hongkongais, «une personne, résidente permanente de Hongkong ou non, est punissable en vertu de la LSN non seulement si le délit est commis à Hongkong, mais aussi en dehors. Si l’acte n’est pas commis à Hongkong mais a des conséquences sur la ville, il est considéré comme s’étant passé à Hongkong, et est donc soumis à la LSN».

Le superintendant de la police de sécurité nationale Steve Li a accusé le groupe des huit opposants d’avoir «appelé à des sanctions contre des responsables locaux et comploté pour que des pays étrangers sapent la situation financière de Hongkong». Li les a enjoints à se rendre à la police, en leur faisant miroiter un allègement de peine. Selon HKFP, le département de la sécurité nationale de la police a détaillé les accusations à l’encontre de chacun des huit militants, citant par exemple les appels de Nathan Law à appliquer des sanctions ou des blocus internationaux, ou ses interviews, conférences et pétitions appelant à la séparation de Hongkong avec la Chine, entre juillet 2020 et novembre 2022. Autant d’actions relevant selon les autorités chinoises de l’incitation à la «collusion avec des forces étrangères» et à la «sécession».

Dissidence

«C’est un évènement significatif, car c’est la première fois qu’un mandat d’arrêt est émis outre-mer, s’inquiète Emily Lau. Même s’ils ne peuvent pas arrêter les opposants à l’étranger, l’intérêt est de leur envoyer un signal d’avertissement : «Vous n’êtes nulle part à l’abri».» Le message a suscité un grand émoi chez les autres dissidents exilés, inquiets d’être à leur tour visés. Kacey Wong est un artiste hongkongais, connu pour ses performances artistiques qu’il a mis au service de sa lutte contre l’oppression de la Chine sur Hongkong. Il s’est réfugié à Taiwan en 2021 après que Ta Kung Pao l’a épinglé pour avoir violé la LSN. Ce matin, l’autoproclamé «artiste citoyen» a appris la nouvelle avec beaucoup d’inquiétude. «Je me suis immédiatement senti concerné», dit celui pour qui la dissidence est devenue le quotidien.

«Il y a déjà tous ces agents chinois en Europe et aux Etats-Unis. Mais il y a un deuxième niveau de préoccupation, plus profond : tous les chiens de garde nationalistes qui font déjà usage de violence pour s’en prendre à ceux qui critiquent leur régime, s’alarme l’opposant. Tout cela a déjà lieu sans récompense financière ! Mais si vous rajoutez un million de dollars à la clé, cela va inciter d’autres personnes à dénoncer les dissidents et révéler leur localisation. C’est ce qui me préoccupe le plus.» Depuis qu’il est entré dans sa vie d’exilé, Kacey Wong prend déjà beaucoup de précautions. Il garde par exemple secrète l’adresse de son studio à Taiwan. Depuis l’annonce des mandats d’arrêts, Wong égrène les nouvelles précautions qu’il s’apprête à prendre : «M’assurer que je ne suis pas suivi. Me renseigner sur la personne que je vais rencontrer. Au moindre doute, abandonner. Se procurer une arme non létale d’autodéfense, etc.» Même si son exil à Taiwan lui a donné une bouffée d’air par rapport à Hongkong, sa quiétude est toute relative : «Tant que le Parti communiste chinois existe, nous ne sommes en sécurité nulle part au monde.»