Menu
Libération
Féminisme

Les Australiennes descendent dans la rue contre les violences sexuelles

Violences sexuellesdossier
Des dizaines de milliers d’Australiennes ont manifesté lundi dans les principales villes du pays pour protester contre les violences sexuelles, alors que le pouvoir de centre-droit est secoué par deux affaires retentissantes de viols.
Lors de la marche de Sydney, lundi. (Rick Rycroft/AP)
par Valentine Sabouraud, correspondante à Melbourne
publié le 16 mars 2021 à 15h25

Sur une pancarte en carton brandie à bout de bras, l’ordre «Protégez vos filles» est remplacé par une autre sommation : «Eduquez vos fils Lundi, des dizaines de milliers d’Australiennes sont descendues dans les rues pour dire leur colère face aux violences sexuelles, discriminations et harcèlement dont elles sont victimes au quotidien. A l’origine de cette «marche pour la justice» (#MarchForJustice), deux affaires qui secouent jusqu’au sommet de l’Etat. Le 15 février, Brittany Higgins, une jeune membre du Parti libéral (centre droit, actuellement au pouvoir), rend public le viol dont elle aurait été victime au sein même du Parlement fédéral. Cette agression aurait été perpétrée il y a deux ans par un collègue, dans le bureau de Linda Reynolds, ministre de la Défense – actuellement en congé maladie.

Dans toutes les têtes, une seule question : le Premier ministre, Scott Morrison, chef du Liberal Party, était-il au courant ? Il déclare avoir été informé par voie de presse. Des membres de son équipe l’étaient-ils ? Sûrement, puisque la jeune femme s’en était ouverte à certains, rapidement après les faits. Aurait-on alors tenté d’étouffer le drame ? Brittany Higgins a-t-elle manqué de soutien et de protection ? Une enquête parlementaire a été lancée alors qu’une plainte officielle vient d’être déposée.

Après les manifestations, le Premier ministre, Scott Morrison, s’est félicité de ce qu’il a qualifié de «triomphe de la démocratie». Mais pour des raisons qui ont quelque peu surpris : «Pas loin d’ici, de telles marches, encore maintenant, seraient accueillies par des balles, mais pas ici dans ce pays.»

Deuxième affaire dévoilée fin février : encore un viol. Elle touche cette fois-ci l’un des plus éminents personnages de l’Etat, puisque le procureur général Christian Porter, le conseiller juridique du gouvernement, est accusé d’avoir agressé en 1988 une adolescente de 16 ans, morte l’an dernier, avec laquelle il étudiait. Pas de mise à pied ni de démission cependant. A ce jour, les dénégations de l’agresseur présumé et «l’absence de preuves suffisantes», selon la police, ont permis à l’homme de rester en poste, avec le soutien de Scott Morrison.

«Trop c’est trop» ! Le hashtag #EnoughIsEnough se propage depuis sur les réseaux sociaux. Les langues se délient. Sur Facebook, un groupe privé regroupant des membres du Labor, le parti de l’opposition (centre gauche), étrille à son tour la culture du harcèlement qui prévaut au sein du parti. Mais aussi dans toutes les couches de la société. Dans les écoles privées de Sydney, des témoignages se multiplient sur des agressions entre élèves. Il n’en fallait pas davantage pour que la mobilisation s’organise. Les 14 et 15 mars, 42 événements ont eu lieu à travers le pays dont une marche au pied du Parlement fédéral, à Canberra, pour remettre au Premier ministre une pétition. Parmi les demandes : garantir la tenue d’enquêtes indépendantes, lutter contre le harcèlement sexuel, prévenir les violences de genres, promouvoir l’égalité et la financer…

Faire bouger les choses

A Melbourne, ce sont plus de 5 000 personnes qui se sont réunies lundi à 12 heures derrière le Parlement de l’Etat de Victoria. Beaucoup de femmes, mais aussi des hommes, des lycéens en uniforme et des bébés dans des poussettes. Le noir était de rigueur, mais les accessoires arc-en-ciel et le rose coloraient des tenues et parfois les cheveux. Covid oblige, tout le monde était masqué et les volontaires distribuaient du désinfectant. «Le futur sera féministe et furieux», «Je la crois», «Une enquête indépendante maintenant», «Au diable le patriarcat», «On trouve de meilleurs cabinets chez Ikea». Les panneaux maison sont levés haut, tandis que les poings sont régulièrement brandis vers le ciel où un avion déploie un drapeau qui rappelle que «les femmes votent aussi».

A la tribune, les oratrices se succèdent pour évoquer leur drame personnel, rappeler les inégalités au travail et la situation plus préoccupante encore des femmes aborigènes, moins protégées et moins visibles. «Honte, honte, honte», scande la foule. Une minute de silence a clôturé la cérémonie en hommage aux 898 femmes et enfants victimes de violence masculine depuis 2008 et dont les noms ont été écrits à la main sur un long tissu blanc.

Le Premier ministre, Scott Morrison, n’a participé à aucune marche et a refusé de rencontrer en public les organisatrices du mouvement. Il a suggéré une rencontre à huis clos, une invitation que les représentantes du mouvement ont déclinée. Il s’est néanmoins félicité de ce qu’il a qualifié de «triomphe de la démocratie». Mais pour des raisons qui ont quelque peu surpris : «Pas loin d’ici, de telles marches, encore maintenant, seraient accueillies par des balles, mais pas ici dans ce pays.» Un commentaire qui n’a pas fait l’unanimité chez celles qui veulent faire bouger les choses, y compris au sein de son propre parti. «Le vent chaud du changement pour les femmes hurle désormais dans les couloirs du pouvoir et ce n’est pas trop tôt», a ainsi déclaré Katie Allen, députée libérale. En Australie en 2016, 1 femme sur 6 et 1 homme sur 25 ont été victimes d’agression sexuelle avant 15 ans, tandis que 200 000 adultes (1,1 % de la population) l’ont été dans les douze mois passés. En 2018-2019, 97 % des agresseurs étaient des hommes.