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Contestation

«Nous assistons à une escalade de la violence» : au Bangladesh, le bilan des manifestations étudiantes monte à 32 morts

De violents affrontements ont eu lieu dans les principales villes du pays, alors que les protestations se poursuivent pour exiger l’abrogation d’un système de quotas jugé discriminatoire.
Des manifestants se heurtent à la police à Dacca, ce jeudi. (Munir Uz Zaman /AFP)
publié le 18 juillet 2024 à 20h13

Le bilan continue de s’alourdir au Bangladesh. Après une série de nouveaux affrontements, au moins 32 personnes ont été tuées en trois jours, selon un nouveau décompte de l’AFP établi ce jeudi 18 juillet. Entamé le 1er juillet, le mouvement de contestation étudiante a dégénéré en de violents heurts cette semaine, opposant les manifestants aux forces de l’ordre et aux partisans du pouvoir.

Depuis plusieurs semaines maintenant, des milliers d’étudiants descendent dans les rues et érigent des barrages routiers à travers le pays. L’objectif : obtenir l’abrogation d’un système de quotas régissant l’accès aux emplois dans la fonction publique. Au Bangladesh, plus de la moitié des postes de fonctionnaires – très prisés – sont attribués selon des critères jugés «discriminatoires» par une partie de la jeunesse. 30 % de ces postes sont notamment réservés aux descendants de ceux qui se sont battus pour obtenir l’indépendance du pays, en 1971. Un système, estiment les manifestants, qui favorise largement les partisans de Sheikh Hasina, Première ministre du Bangladesh et fille du leader de l’indépendance, Sheikh Mujibur Rahman.

Face aux contestations, la Cour suprême a décidé de temporairement suspendre la règle des quotas le 10 juillet. Mais la décision n’a pas suffi à calmer la colère des étudiants, qui réclament la fin définitive du système. Lundi 15 juillet, de premières violences éclatent. Sur le campus universitaire de Dacca, la capitale, deux groupes s’opposent : d’un côté les manifestants, de l’autre le Bangladesh Chatra League (BCL), l’aile étudiante de la Ligue Awami, le parti au pouvoir.

La Première ministre peine à convaincre

«Les manifestations étaient entièrement pacifiques avant que des membres de la BCL ne commencent» à attaquer les étudiants, martèle Amnesty dans un communiqué de presse publié le 17 juillet. Selon l’organisation, qui cite des témoins oculaires et des vidéos, des membres de la BCL seraient sortis de plusieurs résidences universitaires «armés de bâtons, de gourdins et de matraques», et auraient jeté «des briques puis des barres de fer» sur les manifestants. Au total, une centaine d’étudiants ont été blessés.

«Depuis cette première vague d’attaques, nous assistons à une escalade de la violence», déplore auprès de Libération Taqbir Huda, chercheur régional pour l’Asie du Sud chez Amnesty International. Mardi, et pour la première fois depuis le début du mouvement, six personnes sont tuées dans la capitale, mais aussi à Chittagong, au sud-est du pays et à Rangpur, dans le Nord. La police, elle, n’hésite pas à faire usage de gaz lacrymogène et de balles en caoutchouc pour disperser les manifestants.

Parmi les victimes tuées mardi : Abu Sayed. Un étudiant de 25 ans, qui aurait été abattu par les forces de l’ordre, selon plusieurs organisations. «Dans deux vidéos vérifiées par Amnesty International, on voit au moins deux policiers tirer sur lui avec des fusils de chasse», assure le communiqué de l’ONG, qui a fait confirmer l’information par un médecin légiste indépendant. La preuve, estime l’organisation, que la police fait preuve d’un «usage illégal de la force», contre les manifestants. Et ce d’autant plus que «Sayed ne représentait aucune menace physique apparente pour la police», ajoute Amnesty International.

Face à la montée des tensions, la Première ministre Sheikh Hasina a réagi mercredi, assurant que les responsables des «meurtres» seraient punis, quelle que soit leur affiliation politique. Mais l’allocution, prononcée à la télévision, est loin d’avoir convaincu. La principale association d’étudiants a jugé ses paroles non sincères, et exhorté ses membres à poursuivre l’action. Quelques jours plus tôt, la «dame de fer sud-asiatique» avait condamné les manifestations, estimant que les étudiants perdaient «leur temps».

«Une résilience que nous n’avions pas vue depuis très longtemps»

Malgré les appels au calme, les violences s’intensifient encore ce jeudi. Tout au long de la journée, des affrontements meurtriers ont éclaté dans plusieurs villes, tandis que la police anti-émeute continue de tirer des gaz lacrymogènes et des balles en caoutchouc. Sur les réseaux sociaux, de nombreuses vidéos – qui n’ont pas pu être authentifiées – montrent de jeunes habitants en sang, parfois à terre. Les médias, eux, évoquent des dizaines de morts cette après-midi. «La situation s’est considérablement dégradée ces dernières 24 heures», alerte Taqbir Huda.

Dans la capitale, des manifestants auraient même mis le feu au siège de la principale chaîne de télévision publique du pays, BTV. «Beaucoup de personnes sont coincées à l’intérieur», a alerté le média ce jeudi, qui évoque un «feu catastrophique» qui se propage rapidement. Plus tôt dans la journée, le gouvernement avait ordonné la fermeture de son réseau d’Internet mobile, afin d’«assurer la sécurité des citoyens». «Ces dernières heures, j’ai beaucoup de mal à joindre mes contacts sur le terrain», acquiesce Taqbir Huda. Selon le chercheur régional, les applications de messagerie WhatsApp et Messenger ne sont plus accessibles, rendant «plus difficile» le travail de collecte et de vérification des informations.

Malgré la répression, la contestation étudiante ne faiblit pas. Au contraire même, constate Taqbir Huda. «Par le passé, les manifestations étudiantes avaient été écrasées assez rapidement lorsque de la violence était utilisée. Mais cette fois-ci, c’est différent. Les étudiants protestataires font preuve d’une résilience que nous n’avions pas vue depuis très longtemps». En août 2018, le mouvement étudiant contre la violence routière avait été sévèrement réprimé par les forces de l’ordre, faisant des centaines de blessés à travers le pays. Cette fois-ci, «cela pourrait devenir l’un des plus grands défis politiques auxquels Hasina ait été confrontée depuis longtemps», analyse sur X (ex-Twitter) Michael Kugelman, chercheur spécialiste de l’Asie du Sud au Wilson Center de Washington.