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Virage

Onze ans après Fukushima, le Japon se tourne de nouveau vers le nucléaire

Accident nucléaire de Fukushimadossier
Influencé par les tensions énergétiques mondiales causées par la guerre en Ukraine, le premier ministre japonais, Fumio Kishida, projette de relancer la production d’énergie nucléaire.
Fumio Kishida à Tokyo, le 10 août. (Rodrigo Reyes Marin/Reuters)
par Elise Da Silva Griel
publié le 26 août 2022 à 18h40

Le Japon fait volte-face. Après avoir drastiquement baissé sa production d’énergie nucléaire à la suite de la catastrophe de Fukushima en mars 2011, l’archipel s’apprête à relancer le secteur. Le Premier ministre, Fumio Kishida, a annoncé le 24 août le début d’une réflexion sur la construction de réacteurs nucléaires nouvelle génération.

L’homme d’Etat issu de la droite conservatrice a appelé à «maximiser» l’usage des dix réacteurs nucléaires existants autorisés à produire de l’énergie. Il a ajouté que le gouvernement allait «s’efforcer de faire tout ce qui est nécessaire» afin de redémarrer au plus tôt d’autres réacteurs ayant obtenu des feux verts réglementaires. Fumio Kishida songe également à allonger leur durée d’exploitation, actuellement limitée à soixante ans.

Le chef de l’exécutif justifie ce revirement par les fortes tensions énergétiques mondiales causées par l’invasion russe de l’Ukraine il y a six mois. Il prévient : «Le Japon doit tenir compte de potentiels scénarios de crise dans le futur.» Environ 8,5 % du gaz et 14 % du charbon importés dans l’archipel proviennent de Russie. Des chiffres bien en deçà des importations venues d’Australie, s’élevant respectivement à 37 % et 68 %, mais qui n’empêchent pas le pays de pâtir d’approvisionnements énergétiques plus chers et plus difficiles. Cet été, suffocant sous des températures caniculaires, le Japon est menacé de pénuries d’électricité.

Neutralité carbone

Dès sa nomination au poste de Premier ministre, en octobre 2021, Fumio Kishida avait exprimé sa volonté de réfléchir au développement d’un nouveau type de réacteur nucléaire afin de répondre aux besoins énergétiques du pays. En misant sur le nucléaire, le Japon cherche à renforcer son indépendance énergétique et à respecter son objectif de neutralité carbone à l’horizon 2050. Le gouvernement nippon espère que les centrales fourniront jusqu’à 20 % de l’énergie du pays d’ici à 2030. En 2020, 4 % de l’électricité produite au Japon provenait du nucléaire, contre 30 % avant l’accident nucléaire de 2011.

Les déclarations de Fumio Kishida représentent un tournant majeur dans la récente politique énergétique. Largement plébiscité dans l’après-guerre, le nucléaire était perçu comme un moyen privilégié de générer de l’électricité en abondance. Après le premier choc pétrolier de 1973, il est devenu un atout majeur dans la quête nationale à l’indépendance énergétique. Son importance n’aura ensuite de cesse de croître, jusqu’en 2011.

Soutien de la population

Le Japon était alors la troisième puissance nucléaire civile au monde, derrière les Etats-Unis et la France. Le pays comptait 54 réacteurs en opération. Près de 30 % de son mix électrique était assuré par le nucléaire et il envisageait un avenir énergétique basé sur les énergies renouvelables et le nucléaire, assuré par la construction de 23 nouveaux réacteurs à l’horizon 2030. La catastrophe de Fukushima a coupé net l’essor du secteur et causé l’arrêt de l’ensemble du parc nucléaire nippon. La nouvelle direction énergique présentée par Fumio Kishida est soutenue par la majorité de la population. Selon un sondage conduit par Yahoo Japan en juillet, 74 % des Japonais estiment que les centrales nucléaires doivent reprendre leurs activités. Il y a dix ans, ils étaient plus de 80 % à ne voir aucun avenir à l’énergie atomique au Japon.