«Où sont mes enfants ?» ; «Maman est-elle vivante ?» ; «Est-ce quelqu’un s’occupe de mon père malade ?» ; «Ma maison est-elle toujours là ?» ; «Quand vais-je rentrer chez moi ?» En temps normal, un être humain reçoit en quelques instants des réponses à ces questions fondamentales. Depuis cinq ans, des centaines de milliers d’hommes, de femmes et d’enfants les attendent en vain. Et rien n’indique qu’on leur donnera dans les prochains mois, ni même lors des prochaines années.
En août 2017, les forces de l’ordre birmanes ont incendié les villages, assassiné et violé leurs habitants, forçant 740 000 personnes à s’enfuir au Bangladesh. Depuis, ces familles, chassées parce qu’elles sont Rohingyas, vivent entassés sous des bâches, à la merci des intempéries et des criminels. Le régime refuse de leur rendre leur nationalité, la communauté internationale les a abandonnées. Les réfugiés ne savent pas si une coulée de boue va envahir leur cabane cette nuit, si l’aide alimentaire sera distribuée demain, si leurs enfants iront un jour à l’école. Ceux qui sont restés en Birmanie n’ont qu’une seule certitude : il n’y a pour eux ni droits, ni liberté, ni justice. Comme pour ce garçon de Sittwe, une ville birmane, qui à 20 ans gisait dans l’herbe ce dimanche, un trou rouge au côté gauche, abattu par la police.
Torture invisible
Cette même funeste année 2017, la Chine a entrepris d’enfermer plus d’un million de citoyens parce qu’ils sont Ouïghours et Kazakhs. Les raisons officielles sont aussi absurdes qu’infinies, comme avoir «entre 20 ans et 40 ans», avoir «assisté à un mariage religieux», «téléphoné à l’étranger», «coupé trop longtemps son téléphone». Alors 12 millions de personnes se couchent sans savoir si elles seront arrêtées dans la nuit, poussées dans une voiture un sac sur la tête, détenues en camp sans limite de durée ou condamnées à de longues années de prison, envoyées en travail forcé et leurs enfants à l’orphelinat. Les communications étant presque impossibles, les Ouïghours qui vivent à l’étranger ne savent pas où se trouvent ceux qu’ils aiment, s’ils souffrent et se sentent abandonnés, ou s’ils sont morts déjà. Comme les Rohingyas, ils désespèrent de retrouver un jour leur chat, leur jardin, leur travail ou leurs amis. Certains ne voient que le suicide pour mettre fin à cette torture invisible. Les génocides et les crimes contre l’humanité ne sont pas que sanglants. Ceux qui les commettent savent que l’incertitude peut tuer aussi. En silence.