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Libération
Vu de Tokyo

«Partez tout de suite !» : au Japon, séismes en série et alerte au tsunami réveillent le traumatisme de 2011

En ce premier jour de l’année 2024, de puissantes secousses ont frappé le centre du pays et déclenché une alerte au tsunami. Si la menace de tsunami est désormais écartée, 4 morts sont recensés et les dégâts semblent importants.
Dégâts provoqués par un puissant séisme à Wajima, dans le centre du Japon, le 1er janvier 2024. (Yusuke Fukuhara/Yomiuri Shimbun . AFP)
par Karyn Nishimura, correspondante à Tokyo
publié le 1er janvier 2024 à 12h24
(mis à jour le 1er janvier 2024 à 18h44)

Si le scénario du pire a été évité, l’année 2024 a néanmoins très mal débuté au Japon. Il était 16 heures 10 locales (08 h 10 à Paris) quand les réunions familiales du Nouvel an ont été brutalement interrompues par des secousses d’une extrême violence dans le centre de l’archipel. Un séisme de magnitude 7,5 a frappé la péninsule de Noto, suivi de nombreuses répliques, dont les trépidations ont été ressenties jusqu’à Tokyo et en banlieue de la capitale, située à plus de 300 kilomètres de l’épicentre.

Une alerte au tsunami de trois mètres, rapidement élevée au niveau majeur de cinq mètres, a été immédiatement déclenchée par l’agence météorologique nationale (JMA). Et les chaînes de télévision, à commencer par la chaîne publique NHK, ont basculé en mode état d’urgence, avec cette image graphique que tout le monde, au Japon, redoute : une carte multicolore de l’archipel, dont la côte ouest clignote en jaune, rouge et violet pour marquer les différentes hauteurs de tsunami redoutées dans chaque région.

A l’antenne, comme lors de ce terrible 11 mars 2011, dont le souvenir continue de hanter le pays, des journalistes hurlent dans leur micro pour demander à la population d’évacuer. «Vous n’avez pas le temps, partez tout de suite», «allez dans des lieux en hauteur», «immédiatement, s’il vous plaît !». «Nous avons conscience que vos maisons et vos biens vous sont chers, mais vos vies sont plus importantes que tout le reste. Courez vers les zones les plus élevées possibles», martèle un présentateur de la NHK.

Pas d’anomalie dans les centrales nucléaires

Toute la côte ouest le long de la mer du Japon était concernée par ce risque de raz-de-marée susceptible de provoquer des dégâts de très grande ampleur, en ce jour de l’an où de nombreux Japonais se trouvent en vacances dans leurs régions d’origine, dont beaucoup dans les provinces du centre, de l’ouest et du nord-ouest. «Plusieurs murs d’eau successifs de plus en plus hauts peuvent se succéder», avertissait un expert de l’agence météo.

Mais le scénario du pire ne s’est pas matérialisé. D’abord abaissée à trois mètres, l’alerte au tsunami a ensuite été levée. Les vagues les plus importantes, d’une hauteur de 1,2 mètre, ont été mesurées dans le port de Wajima, dans la péninsule de Noto, environ une dizaine de minutes après la plus puissante secousse, enregistrée initialement à 7,4 sur l’échelle de Richter mais révisée à la hausse (7,5 selon l’Institut de géophysique américaine USGS, et 7,6 selon la JMA). Et vers 21 heures sur place (13 heures à Paris), le Centre d’alerte aux tsunamis dans le Pacifique, basé à Hawaï, a considéré la menace de tsunami comme «largement écartée».

L’inquiétude s’était aussitôt portée sur les réacteurs nucléaires, nombreux à se trouver le long des côtes concernées. Mais si les séismes puissants n’ont cessé de s’enchaîner, avec plus de cinquante secousses de magnitude égale ou supérieure à 3,2 enregistrées en l’espace de quatre heures, aucune anomalie n’a été détectée sur les centrales, a rassuré le porte-parole du gouvernement.

La nuit est tombée

Selon les médias japonais, quatre décès auraient été confirmés après les séismes. La nuit étant tombée peu après les secousses, il faudra attendre mardi matin pour avoir une idée plus précise des dégâts. Mais dans la zone touchée, d’importants dommages ont été signalés - maisons anciennes en bois ou bâtiments en partie effondrés, poteaux électriques renversés, sanctuaires abîmés, routes coupées en deux…

Un gros incendie s’est déclaré à Wajima, des conduites d’eau ont été rompues, les réseaux téléphoniques mis hors service par endroits, plusieurs autoroutes proches des épicentres ont été fermées et le trafic ferroviaire à grande vitesse interrompu entre Tokyo et Ishikawa. Le ministre de la Défense, Minoru Kihara, a annoncé le déploiement d’un millier de soldats et l’envoi d’une vingtaine d’avions militaires pour évaluer les dégâts. 8 500 militaires supplémentaires se tiennent également prêts à intervenir.

Environ 33 500 foyers étaient privés d’électricité dans les départements d’Ishikawa, Toyama et Niigata, tous situés au bord de la mer du Japon, selon des fournisseurs locaux. Des lieux de refuges ont été ouverts par les autorités locales, dont les effectifs étaient évidemment réduits en ce 1er janvier, un des rares jours de l’année où une très grande partie des Japonais se reposent. Une cellule de crise a été mise en place tant au bureau du Premier ministre qu’au sein de l’Autorité de régulation nucléaire.

20 % des séismes mondiaux

A la télévision japonaise, des images montraient des personnes évacuées attendant dehors dans le froid, certaines se couvrant d’épaisses couvertures, d’autres tenant des enfants dans les bras. Face à la crainte de répliques et d’effondrement de constructions déjà fragilisées, des appels ont été lancés à évacuer dans des bâtiments récents, si possible en béton armé.

Situé à la jonction de quatre plaques tectoniques, sur la ceinture de feu du Pacifique, le Japon enregistre 20 % des séismes les plus puissants recensés chaque année sur Terre. Les normes de construction y sont extrêmement strictes, de sorte que les bâtiments résistent généralement à de puissantes secousses, et la population est rompue à ce genre de situation.

Mais tous les Japonais qui ont connu la catastrophe de mars 2011 (séisme de magnitude 9,1, tsunami de plusieurs dizaines de mètres par endroits, 18 500 morts, accident nucléaire de Fukushima, le pire depuis Tchernobyl) restent marqués à vie par les images de ce drame national. Les appels des médias et les alertes ce lundi ravivent ainsi les douloureux souvenirs de ce traumatisme national, le jour même où l’on se souhaite mutuellement le meilleur pour l’année à venir.

Mise à jour : à 19h51, avec le bilan porté à quatre morts.