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Libération
Junte militaire

Premières exécutions en trente ans en Birmanie

L’annonce de la pendaison de quatre opposants à la junte a choqué la population. Les appels à la révolte se multiplient.
Zaw Min Tun (ici en 2019), le porte-parole de la junte, a déclaré lors d’une conférence de presse qu’il n’allait «pas mentionner l’exécution. Tout s’est passé d’après la loi et il n’y a pas besoin d’apporter d’explication». (Ye Aung Thu /AFP)
par Juliette Verlin, Correspondante à Rangoun
publié le 25 juillet 2022 à 11h29
(mis à jour le 25 juillet 2022 à 15h50)

Sous le soleil de midi, quelque part à Rangoun, une bannière de tissu blanc, tendue par le vent, est suspendue à un pont routier. On peut y lire, en caractères peints en rouge, «Préparez-vous à payer une dette de sang». En dessous, sont inscrits les noms des quatre condamnés à mort, dont l’exécution a été annoncée par la junte ce lundi matin, précédés d’un «RIP» («reposez en paix») : Hla Myo Aung, Aung Thura Zaw, Kyaw Min Yu et Phyo Zeyar Thaw.

Les appels des familles des condamnés et de la communauté internationale, pour tenter de commuer la sentence, n’ont pas été entendus. Les quatre militants, condamnés pour «actes de terrorisme» pour leur implication supposée dans la résistance armée face à la junte, ont vu leur appel rejeté début juin. Depuis, la population retenait son souffle : l’administration de Min Aung Hlaing allait-elle être la première en trente ans à exécuter des prisonniers ?

Vendredi, les familles avaient été autorisées à parler – sur Zoom – aux condamnés, pour la première fois depuis leur arrestation, déclenchant une vague de rumeurs sur leur possible exécution dans la foulée. Rumeurs que la junte s’était empressée de démentir, affirmant qu’ils «ne seraient pas exécutés tout de suite». C’est seulement lundi matin que la nouvelle est tombée, avec une simple dépêche publiée dans le Global New Light of Myanmar, média d’Etat. Le pays s’est réveillé bouleversé. A mesure que la nouvelle se répandait, la chronologie des événements était retracée. Les quatre condamnés ont été pendus samedi matin, au lendemain de leur échange avec leurs proches, à la tristement célèbre prison d’Insein, à Rangoun. Leurs corps ont été incinérés au cimetière de Htein Pin le même jour. Comme pour la plupart des assassinats commis par les forces de la junte, les familles n’ont pas été invitées à la crémation et n’ont pas pu voir les corps des condamnés. Thazin Nyunt Aung, épouse de Phyo Zeyar Thaw, a appris la mort de son mari dans les médias.

Tirs au lance-grenades sur la télévision d’Etat

Alors que la population encaisse le choc, Zaw Min Tun, le porte-parole de la junte, a déclaré lors d’une conférence de presse qu’il n’allait «pas mentionner l’exécution. Tout s’est passé d’après la loi et il n’y a pas besoin d’apporter d’explication». Les déclarations publiques des militaires sont rarement bien reçues par la population ; le mensonge aux familles, couplé au dédain perceptible du commentaire de Zaw Min Tun, ne fera qu’ajouter de l’huile sur le feu.

Pour Matthew Smith, à la tête de l’ONG de défense des droits humains Fortify Rights, «la junte se trompe complètement si elle pense que [les exécutions] instilleront la peur dans les cœurs de la révolution». Quelques heures après l’annonce, dans le quartier populaire de Kamayut, au nord du centre-ville de Rangoun, le groupe de résistance armée Yangon-e UG-PDF a tiré au lance-grenades sur le bâtiment de la chaîne de télévision gouvernementale MRTV, situé sur l’une des artères principales de la ville. L’attaque n’a pas été justifiée, mais pendant les prochains jours, le moindre acte de résistance sera perçu comme une réaction aux exécutions. Sur Twitter, une activiste anonyme a lancé un appel largement relayé : «Rappelez-vous de leurs noms. Ne soyez pas triste, soyez en colère.»

Le parti de l’ancienne dirigeante renversée Aung San Suu Kyi, la Ligue nationale pour la démocratie, dont Phyo Zeya Thaw fut député, s’est dit «dévasté» par la nouvelle : «En plus des innombrables atrocités contre le peuple birman, la junte militaire a effrontément commis un autre crime outrageux [...] ignorant les demandes de la communauté internationale et de ceux qui réclament la justice.» La France a réagi promptement. «Alors qu’aucune exécution n’avait été recensée dans le pays depuis plus de trente ans, ces exécutions constituent une régression majeure et une nouvelle étape dans l’escalade des atrocités commises par la junte birmane depuis le coup d’Etat», a estimé la porte-parole du ministère français des Affaires étrangères, Anne-Claire Legendre, assurant que Paris «condamne fermement» les exécutions des «quatre prisonniers politiques». De son côté, l’ambassade des Etats-Unis en Birmanie a déclaré condamner «l’exécution par le régime militaire de leaders prodémocratie et de représentants élus pour l’exercice de leurs libertés fondamentales».

Article mis à jour à 15 h 50 avec des réactions des membres de l’opposition.