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Libération
Reportage

Rassemblement à Paris en soutien aux étudiants du Bangladesh : «Je ne veux pas de meurtriers dans le gouvernement de mon pays»

Quelques centaines de personnes se sont réunies mardi 23 juillet dans le IVe arrondissement pour dénoncer la répression du mouvement étudiant et demander la démission de la Première ministre, Sheikh Hasina.
A Dacca, la capitale du Bangladesh, jeudi 18 juillet. (Rubel Karmaker/Zuma.ABACA)
publié le 24 juillet 2024 à 12h30

Au milieu de la foule, Raisa enfile le gilet jaune que son voisin vient de lui tendre. «C’est pour qu’on reconnaisse les organisateurs», s’empresse de justifier la jeune femme de 26 ans. Autour d’elle, les pancartes blanches et jaunes se multiplient, entourées de drapeaux du Bangladesh : «Justice pour les étudiants tués», «Abolition du système de quotas», «Etudiants bangladais en danger». Sur la place de la Bastille à Paris, 200 personnes se sont réunies mardi 23 juillet au soir, à l’appel du groupe Bangladeshi Student Forum France, pour afficher leur soutien au mouvement de contestation qui paralyse le pays.

Depuis le 1er juillet, des milliers d’étudiants manifestent dans les rues du Bangladesh pour obtenir la fin des quotas d’embauche dans la fonction publique, jugés discriminatoires et favorisant les partisans de la Première ministre, Sheikh Hasina. Mais le mouvement, au départ pacifique, s’est transformé ces derniers jours en de violents affrontements entre les manifestants d’un côté et les forces de l’ordre ou des alliés du parti au pouvoir de l’autre. «Mercredi dernier, j’ai appris qu’un de mes amis avait été tué, et que mon frère avait été blessé, confie Raisa. Il fallait que je fasse quelque chose.» Alors, le soir même, la jeune femme décide de se réunir avec une dizaine d’amis bangladais devant la tour Eiffel. Puis de créer un groupe Facebook pour appeler à manifester.

Depuis, le bilan ne cesse d’augmenter. Au moins 174 personnes sont mortes en une semaine, selon un nouveau décompte établi par l’AFP mardi, et plus de 2 500 personnes ont été arrêtées par les autorités. Sur la place de la Bastille, ce sont ces violences qui sont sur toutes les lèvres. «Le mouvement a changé, souligne Fahim (1), 25 ans. Au départ, on manifestait contre le système de quota. Mais, aujourd’hui, je suis là parce que je veux que les personnes tuées obtiennent justice, que le gouvernement réponde pour ces crimes.»

«C’est une dictatrice»

Derrière l’étudiant, les manifestants se sont rassemblés en cercle. Au centre, l’un d’eux, micro à la main, répète inlassablement le même chant : «Qui es-tu ? Qui suis-je ?» «Razakar, Razakar !» répond d’une seule voix le public, poings levés. Le slogan, devenu un symbole du mouvement de contestation, a été créé après une déclaration de Sheikh Hasina, qui a comparé les étudiants aux «razakars», les «collabos» du Pakistan lors de la guerre de libération de 1971. «Qui l’a dit, qui l’a dit ? Le dictateur, le dictateur !» poursuivent à pleine voix les manifestants.

Ici, de nombreuses personnes présentes l’affirment : «Sheikh Hasina n’est pas une Première ministre. C’est une dictatrice.» Devant le durcissement de la réaction des forces de l’ordre, qui ont tiré à balles réelles samedi 20 juillet à Dacca, la capitale, c’est désormais la fin du mandat de la cheffe du gouvernement – au pouvoir depuis quinze ans – que réclament des milliers de jeunes Bangladais. Cigarette à la main, Fahim regarde le sol, hésitant. «J’ai peur de le dire, mais oui, je veux que la Première ministre démissionne. Je l’ai soutenue il y a des années, mais elle a perdu tout mon respect.»

Soudain, son témoignage est interrompu par une salve d’applaudissements. Sur la place, des dizaines de personnes accourent pour se rassembler autour d’un homme, lunettes de soleil sur le nez et moustache grisonnante. «C’est Pinaki Bhattacharyas’exclame un manifestant. Accueilli telle une star de cinéma, le célèbre militant pour les droits de l’homme et réfugié politique en France accepte le micro qu’on lui tend, et prend place au cœur de la foule. «Depuis quinze ans, le Bangladesh est dirigé par un gouvernement fasciste. Nous ne devons pas être naïfs !» martèle d’emblée l’activiste, devant des dizaines de téléphones.

«On veut un pays où on se sent en sécurité»

Dans la foulée, les manifestants rappellent aussi les mesures mises en place dans le pays asiatique. Couvre-feu, déploiement de l’armée, répression sanglante… Ces derniers jours, les autorités bangladaises n’ont reculé devant rien pour tenter de vider les rues. Après cinq jours de coupure d’Internet, le ministre des Télécommunications a annoncé l’avoir progressivement rétabli mardi soir. Mais, dans les rangs du rassemblement parisien, beaucoup affirment ne toujours pas avoir réussi à joindre leurs proches. «On a l’impression que le Bangladesh est coupé du monde», déplore Syeda, 56 ans. Pancarte en main, celle qui travaille dans le secteur associatif l’admet : elle a «très peur». «Mon neveu a manifesté à l’université de Dacca et il a été frappé par la police. La semaine dernière, ma sœur m’a appelée pour me dire qu’il était à l’hôpital. Mais depuis je n’ai pas de nouvelles, je ne sais pas s’il va bien, s’il est en vie.»

Quelques mètres plus loin, Hasan, 26 ans, discute avec un ami. C’est la première fois que le jeune homme, qui a déménagé en France il y a six ans, vient manifester. Tout comme Syeda, «ça fait maintenant cinq jours» qu’il n’a pas de nouvelles de sa famille, qui vit à Sylhet, dans le nord-est du pays. «Je suis très inquiet. Je vois des photos sur des sites, c’est horrible.» Sur son téléphone, le restaurateur fait défiler des images – qui n’ont pas été authentifiées – de personnes blessées et de corps à terre. «Lui, c’est un journaliste, je le connaissais bien», s’arrête Hasan, fixant l’une des photos.

«On veut un pays où on se sent en sécurité et ce n’est pas le cas», résume Raisa. Face à la montée des violences, le mouvement étudiant à l’origine des manifestations a prolongé mardi de quarante-huit heures la suspension des protestations au Bangladesh. Mais, depuis Paris, promet Raisa, «on va continuer à se rassembler pour eux. Et tant que le gouvernement n’aura pas démissionné, nous continuerons». En attendant, l’organisatrice appelle aujourd’hui la communauté internationale à réagir, et à faire pression sur les autorités : «Peut-être qu’à ce moment-là Sheikh Hasina démissionnera. On ne sait pas, mais on veut garder espoir. Moi, je ne veux pas de meurtriers dans le gouvernement de mon pays.»

(1) Le prénom a été changé.