Depuis le début de l’affaire Djokovic, Nina Markovic Khaze a perdu trois kilos. Et elle ne regarde pas le tennis d’ordinaire. Son truc à elle, Australienne d’origine serbe, c’est «Nole». Elle est mobilisée, comme toute la petite communauté serbe installée entre Sydney, Melbourne et Brisbane.
Pour l’administrateur de la page Facebook «Serbs in Melbourne», «tous les Serbes sont du côté de Novak», dont le visa a été révoqué une deuxième fois vendredi en raison des doutes de l’administration australienne sur ses motifs de non-vaccination contre le Covid-19. En s’appuyant sur le recensement de 2016, cela ferait environ 20 200 supporteurs en Australie dont un bon tiers dans l’état du Victoria. Parmi eux, aucune voix discordante.
Décryptage
Nina Markovic Khaze est responsable communication dans une agence d’immigration. Les visas, elle connaît. Et elle raconte être tombée des nues lorsqu’elle a appris que celui de Djokovic était annulé la semaine dernière à l’aéroport : «Comme mes compatriotes, j’ai d’abord ressenti un choc et de l’incrédulité.» Sa tension est montée lorsque le joueur a été emmené dans un centre de rétention. «Il faut savoir que c’est une date symbolique, puisqu’il s’agit de notre réveillon de Noël [orthodoxe, nldr]. Le placer en détention ce jour-là, qui est le jour le plus sacré de notre calendrier, c’était effrayant», se souvient Nina.
«L’ambiance est malsaine»
«Quand nous avons vu qu’il était enfermé avec des criminels, nous nous sommes sentis obligés de le soutenir», explique Una Matovic, Australienne d’origine serbe de 44 ans vivant à Brisbane. Des manifestations ont lieu un partout dans le pays, y compris devant l’hôtel du joueur et son cabinet d’avocats à Melbourne. Un prêtre orthodoxe s’est mêlé à la foule. «Les soutiens à Djokovic ne sont pas tous serbes, précise Nina. Mais notre communauté a ressenti personnellement et physiquement les effets de son enfermement. J’ai entendu une mamie dire qu’elle avait refusé de manger à Noël, par solidarité avec lui. Moi-même, j’ai perdu trois kilos. Pourtant, je ne regarde pas le tennis !»
Soudée dans l’épreuve, la communauté l’est aussi dans l’inquiétude. En cause notamment, le traitement médiatique de l’affaire. Lors d’une manifestation, un jeune Serbe est monté sur une voiture, obligeant les forces de police à faire usage de gaz poivré. «C’était un idiot, mais il n’avait pas l’intention de blesser. Tout le monde s’est laissé emporter et la presse a en rajouté», déplore Una. Qui brandit la une «Return Serb» du Daily Telegraph, exacerbant les tendances xénophobes de certains. Depuis le début de la saga, et avec cette polarisation politico-sanitaire, «oui, il y a des menaces», assure la communicante. Des compatriotes ont d’ailleurs porté plainte. «L’ambiance est malsaine, insiste Nina. Elle nous rappelle la stigmatisation dont nous avons été victimes dans les années 90. C’est surtout dur pour les plus âgés. Pourtant nous respectons les règles.»
«De nombreux Serbes voudront quitter l’Australie»
Tout ça pour du tennis. Mais comment en est-on arrivé là ? «Il y a une hystérie collective liée à la pandémie – mais cela ne devrait pas toucher Novak Djokovic, notre enfant du pays», s’emporte Una, par ailleurs fan de tennis. Sur le réseau TikTok, Tommyvangelvoski rappelle que Djokovic a donné de l’argent pendant les feux qui ont ravagé l’Australie en 2020 et «qu’il n’est pas idiot». Il interroge : «Pourquoi aurait-il travaillé autant pour devenir numéro 1 et tout foutre en l’air en venant sans autorisation ?»
Vendredi, alors que le ministre de l’Immigration vient d’annoncer la nouvelle annulation du visa de Novak Djokovic, Natalija Ivanovic prédit que «de nombreux Serbes voudront quitter l’Australie car en Serbie, au moins, ils seront traités avec respect». «Je souffre pour mes concitoyens australiens, ajoute Una Matovic à Brisbane. Mais Djokovic n’est pas à blâmer pour cette débâcle. Il est juste venu jouer au tennis.»