Les parlementaires sri-lankais ont fait le choix de la continuité en élisant mercredi matin le Premier ministre sortant et président par intérim au poste de chef de l’Etat. Ranil Wickremesinghe, vétéran de la politique de 73 ans et chef de gouvernement à six reprises par le passé, a été élu avec une large majorité de 60 % des votes validés (134 sur 219). Il terminera ainsi, jusqu’en novembre 2024, le mandat de Gotabaya Rajapaksa, expulsé de son palais présidentiel le 9 juillet dernier par une foule de dizaines de milliers de manifestants. Accusé d’avoir précipité le pays asiatique dans la pire crise économique de son histoire, ce militaire de carrière avait été le premier président sri-lankais à démissionner en exil. Il se trouve en ce moment à Singapour.
Ranil Wickremesinghe, unique député de son Parti national uni (UNP), a remporté cette élection grâce au soutien explicite du parti des Rajapaksa, le Sri Lanka Podujana Peramuna (Front du peuple du Sri Lanka, SLPP), première formation de l’assemblée, ainsi que d’une vingtaine d’autres parlementaires. Ce riche et fin politicien à la chevelure argentée, neveu de l’ancien chef de l’Etat Junius Jayewardene, se présente comme un président unificateur : «Nos divisions sont maintenant terminées», a-t-il déclaré devant ses pairs, avant d’appeler ses adversaires politiques à le «rejoindre afin de travailler ensemble pour sortir le pays de la crise».
Des manifestants démotivés et épuisés
Mais à quelques kilomètres du Parlement, sur la baie de Colombo, les manifestants rassemblés dans leur camp de base n’ont pas confiance dans cet homme politique. «Ranil ne pourra pas résoudre cette crise, rétorque Lahiru Fernando, qui campe depuis plus de trois mois, avec des milliers d’autres, dans le «Gota-Go (“Gotabaya Rajapaksa, va-t’en”) Village». Il a été le garde du corps des Rajapaksa, il les a protégés ces derniers mois en tant que Premier ministre. Et même avant, il a collaboré avec leur régime. Donc il défendra les Rajapaksa, pas les intérêts du peuple sri lankais.» Comme l’essentiel de ces manifestants révoltés par la mainmise et la corruption supposée du clan des Rajapaksa, ce jeune protestataire soutenait le candidat de l’opposition, Dullas Alahapperuma, dissident du SLPP et critique de cette dynastie. Ce dernier a obtenu 82 voix sur 219. «Nous continuerons à camper ici jusqu’à ce que ce nouveau président démissionne également», assure Lahiru Fernando, qui pense déjà à renommer ce site de ralliement «Ranil-Go Village».
Cette position a été formellement répétée à la mi-journée lors d’une conférence de presse du comité de protestation qui annonçait que «la lutte vise à se débarrasser du régime des Rajapaksa et de Ranil Wickremesinghe, afin d’obtenir un système juste et démocratique. Le Parlement a donc aujourd’hui pris une décision qui va contre ce mouvement populaire et nous maintiendrons notre campement». Beaucoup reconnaissent toutefois que cette résistance sera ardue, car de nombreux manifestants sont démotivés par ce revers et épuisés par des mois de combat.
Reportage
Ce nouvel épisode de protestation pourrait rapidement tourner à la confrontation. Ranil Wickremesinghe a déclaré l’état d’urgence lundi dernier et des manifestants auraient été arrêtés ces derniers jours. Un tribunal vient d’interdire, à partir de ce mercredi, toute protestation sur la partie de la baie de Galle Face où campent ces protestataires depuis trois mois. Le nouveau président sait que la classe moyenne est fatiguée par les manifestations répétées, et il semble chercher à rétablir l’ordre dans le pays par tous les moyens.
«Wickremesinghe est monté à bord du Titanic»
Les milieux d’affaires, eux, accueillent son élection avec bienveillance. «Ranil Wickremesinghe a toujours eu une attitude favorable aux affaires, donc je pense qu’il peut aider à apporter des investissements dans le pays, estime le patron d’une chaîne d’équipements sportifs, qui préfère rester anonyme. Il est difficile de le juger sur ce qu’il a fait comme Premier ministre depuis deux mois, car il est alors monté à bord d’un vrai Titanic, et on ne s’attend pas à ce que l’économie se relève aussi rapidement. Mais j’ai bon espoir que dans quelques mois, si on le laisse travailler, il puisse aider le pays à s’en sortir.» Cet entrepreneur se dit toutefois inquiet des liens de dépendance que le nouveau président a pu développer avec le clan des Rajapaksa pour arriver au pouvoir, et espère qu’il les coupera.
Le Sri Lanka, à court de devises étrangères, est en défaut de paiement sur une partie de ses 49 milliards d’euros d’emprunts étrangers. La priorité du nouveau président devrait donc être d’accélérer les négociations avec le Fonds monétaire international. Ses équipes sont déjà venues sur place pour évaluer la possibilité d’octroyer un prêt de plusieurs milliards d’euros, destiné à relancer l’économie sri-lankaise et permettre à l’Etat, entre autres, d’acheter du carburant.