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Libération
Réseau tentaculaire

Trafic d’êtres humains et cyber-arnaques : un vaste coup de filet d’Interpol conduit à l’arrestation de 281 personnes

L’organisation policière internationale annonce ce vendredi 8 décembre les résultats de sa première opération internationale dédiée à la lutte contre le trafic d’êtres humains en vue d’alimenter les escroqueries en ligne. Un phénomène originaire d’Asie du Sud-Est qui s’exporte sur tout le globe.
Le secrétaire général d'Interpol, Jürgen Stock, à l'ouverture de la 91ème Assemblée générale de l'organisation à Vienne, le 27 novembre. (Joe Klamar /AFP)
publié le 8 décembre 2023 à 20h24
(mis à jour le 8 décembre 2023 à 20h24)

Derrière l’écran, des escrocs qui sont aussi des victimes, celles d’un tentaculaire trafic d’être humains. Les agents d’Interpol ont réussi à interpeller 281 membres d’un vaste réseau criminel qui oblige des migrants à travailler dans des centres d’arnaques en ligne. Dans un communiqué publié ce vendredi 8 décembre, l’organisation anticriminelle internationale se félicite de ce vaste coup de filet et en détaille les contours.

Après cinq mois d’une enquête menée conjointement par les forces de police de 27 pays, l’organisation internationale a finalement déclenché l’opération «Storm Makers II» du 16 au 20 octobre. En quatre jours, les agents ont réalisé des descentes de police dans 450 lieux de trafic préalablement localisés et ont pu sauver 149 personnes. 281 personnes, notamment soupçonnées de traite d’êtres humains, de fraude ou de corruption ont été interpellées. «Le coût humain des centres d’escroquerie en ligne continue d’augmenter», souligne Rosemary Nalubega, directrice adjointe des communautés vulnérables à Interpol, citée dans le communiqué, en insistant sur la nécessité d’une «action mondiale concertée» pour y faire face.

Un réseau qui prospère au Laos, en Birmanie et au Cambodge

En juin dernier, le Haut-Commissariat des Nations Unies aux Droits de l’Homme (HCDH) alertait déjà de l’existence de ce réseau de trafic d’êtres humains et d’arnaques en ligne dont les points névralgiques se situent au Laos, en Birmanie ou encore au Cambodge. Car ces opérations d’escroqueries en ligne trouvent leur origine dans l’essor des casinos frauduleux et des jeux d’argent très largement développés en Asie du Sud-Est. Profitant de la crise économique et sociale post-Covid et de la fragilité sécuritaire de leur pays, notamment après le coup d’État de février 2021 en Birmanie, les instigateurs de ces réseaux d’arnaques ont petit à petit développé une activité en ligne et ont commencé à cibler des migrants pour faire fonctionner ces arnaques.

Avec une fausse annonce de recrutement pour un job grassement payé – souvent dans l’e-commerce, le web marketing ou de la négociation en cryptomonnaies – postée sur Instagram, Facebook ou encore X (ex-Twitter), les criminels appâtent de jeunes diplômés doués en informatique. Après plusieurs entretiens d’embauche, les faux recruteurs organisent la venue de leurs nouveaux «employés» et les récupèrent à leur arrivée dans le pays où ils doivent travailler. Si les individus visés par le système étaient pour la plupart d’origine chinoise, ils sont désormais de plus en plus nombreux à vivre en Amérique du Nord, en Europe et dans d’autres parties de l’Asie.

Menacé «d’être vendus»

Au moment où ils rencontrent leurs recruteurs, c’est la douche froide. Menacés, ces jeunes se retrouvent embarqués dans des immeubles fortifiés dans lesquels ils sont forcés de perpétrer des fraudes en ligne sur de faux sites de jeux d’argent et des d’investissement en cryptomonnaies, ainsi que des escroqueries romantiques et financières. Missionné par l’ONU pour se renseigner sur ces réseaux, le professeur Vitit Muntarbhorn, rapporteur spécial des Nations unies sur la situation des droits de l’homme au Cambodge, a fait état des conditions de détention dans son rapport de fin de mission d’août 2022. Les victimes ne peuvent pas refuser de se soumettre aux demandes de leurs geôliers sous peine d’«être torturées ou enfermées dans diverses enceintes entourées de fils barbelés et de clôtures en fer» voire d’«être vendues». Certains détenus préfèrent alors sauter par les fenêtres pour se sauver, détaille le professeur.

Si l’opération «Storm Maker II» est une grande avancée dans la lutte contre le trafic d’êtres humains et la cybercriminalité, elle ne clôture pour autant pas l’affaire. Elle a permis d’ouvrir 360 nouvelles enquêtes sur tout le globe. Interpol indique que des plateformes de trafic ont été repérées dans au moins quatre autres pays d’Asie, en plus du Laos, de la Birmanie et du Cambodge. D’autres éléments de preuve attestent que ce mode opératoire est reproduit dans d’autres régions, notamment en Afrique de l’Ouest et en Amérique du Sud. Le HCDH chiffre, lui, les revenus générés par l’escroquerie au niveau mondial à 7,8 milliards de dollars en cryptomonnaies volées pour l’année 2021 et estime qu’au moins 120 000 personnes pourraient être contraintes de commettre des escroqueries en ligne en Birmanie et environ 100 000 le seraient aussi au Cambodge.